Pour aller plus loin

                     Accueillir l'étranger dans la Bible
 

Si l'étranger a presque toujours une place de choix dans la Bible, c'est parce qu'il est particulièrement cher à Dieu lui-même. Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de Moïse, le Père de Jésus-Christ et notre Père s'identifie à l'étranger et va parfois jusqu'à se faire lui-même l'étranger au milieu de nous. Pourquoi ?

Dieu aime l'étranger : « Car c'est le Seigneur votre Dieu qui est le Dieu des dieux et le Seigneur des Seigneurs, le Dieu grand, puissant et redoutable, l'impartial et l'incorruptible, qui rend justice à l'orphelin et à la veuve, et qui aime l'émigré en lui donnant du pain et un manteau »
(Dt 10, 17-18).

 C'est  pour lui une question de justice. Non pas au sens que ce mot a pour nous aujourd'hui. Dans le sens commun, la justice se trouve comme une personne « neutre » au milieu d'un conflit entre deux personnes. L'une sera déclarée coupable et l'autre sera indemnisée. La société sera protégée. La sécurité sera rétablie. Telle est la justice des hommes, un juste milieu, qui peut d'ailleurs avoir du mal à se situer vraiment de manière juste et au milieu.

 Pour Dieu, la justice revêt un sens assez différent. Sa justice restaure et réintègre la personne exclue pour une raison ou une autre. Et, dans une société qui se trouve partagée entre ceux qui ont les moyens de vivre et ceux qui ne les ont pas, Dieu prend le parti des derniers. Comme eux, il réclame la justice, la solidarité, voire la compassion et la miséricorde. Avec eux, il attend de ses amis la main tendue et l'œuvre de paix.

Pourquoi l'étranger fait-il partie des personnes en danger ? C'est que, dans la société antique, être seul, c'est être exposé à tous les dangers, être privé des moyens de subsistance. La terre, en effet, est le bien du clan, du peuple. Plus profondément, elle appartient à Dieu (Lev 25, 23). Celui qui n'a plus de peuple ne saurait avoir une terre. Aucun individu ne peut posséder une terre. Il est condamné à errer. En cela, l'étranger rejoint les catégories de la veuve et de l'orphelin.
Ces trois groupes de personnes se ressemblent en effet, en ceci qu'elles sont privées de la protection du clan. Sans famille, elles sont sans appui, sans ressources. Leur sort dépend de l'accueil qu'elles peuvent recevoir. Ne pas les accueillir, leur offrir le nécessaire pour survivre, c'est les condamner à la mort certaine. La faute majeure de Sodome fut précisément de refuser l'accueil de l'étranger, d'exploiter sa faiblesse et de s'en amuser (Gn 19, 1-10). Le même péché attira une punition semblable à la ville de Gibéa (cf. Jg 19-20).

Il y a une troisième raison pour laquelle l'étranger a acquis une place centrale dans la Bible. C'est que le peuple d'Israël a vécu souvent comme un étranger, un peuple en chemin, voire en exil. Et Jésus lui-même parcourut le chemin d'Israël, chemin d'incompréhension, d'exclusion et d'Exode. En cela, Israël et le Dieu incarné ont ressenti dans leur chair le malheur et la force de la vie de l'étranger.
 Aussi la Loi prend-elle très à cœur le droit de l'étranger. Voici comment la Bible décline sa loi et son expérience de l'étranger.

Accueillir celui qui a besoin de toi : l'émigré, l'orphelin et la veuve

Le devoir d'accueil de l'étranger est inscrit dans la Loi donnée par Dieu à Moïse, au mont Sinaï. On lit, dans le livre du Deutéronome les règles suivantes :

Tu laisseras à l'étranger de quoi se nourrir :

Dt 14, 28-29 : « Au bout de trois ans,tu prélèveras toutes les dîmes de tes récoltes de cette année-là et tu les déposeras à tes portes. Viendront alors manger le lévite (puisqu'il n'a ni part ni héritage avec toi), l'étranger, l'orphelin et la veuve de ta ville, et ils s'en rassasieront. Ainsi Yahvé ton Dieu te bénira dans tous les travaux que tes mains pourront entreprendre ».

• Tu associeras l'étranger aux fêtes par lesquelles tu célèbres ton Dieu :

 Dt 16, 10-14 : « Puis tu célébreras pour Yahvé ton Dieu la fête des Semaines,  avec l'offrande volontaire que fera ta main, à la mesure de la bénédiction de Yahvé ton Dieu. En présence de Yahvé ton Dieu tu te réjouiras, au lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire habiter son nom : toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite qui est dans tes portes, l'étranger, l'orphelin et la veuve qui vivent au milieu de toi. Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d'Egypte, et tu garderas ces lois pour les mettre en pratique. Tu célébreras la fête des Tentes pendant sept jours, au moment où tu rentreras le produit de ton aire et de ton pressoir. Tu te réjouiras à ta fête, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite et l'étranger, l'orphelin et la veuve qui sont dans tes portes ».

 
Accueillir en te souvenant que toi aussi, tu as été émigré

 La motivation de cette Loi est tirée de l'expérience d'Israël lui-même. Il a  été étranger, il a su ce que c'était que de mendier, d'être maltraité, privé de liberté. Dieu est venu à sa rescousse. A son tour, il se doit de subvenir aux besoins des étrangers qui croisent sa route :

• Tu t'occuperas de l'étranger parce que toi-même, tu fus étranger en terre d'Egypte.

Dt 24, 19-22 : « Lorsque tu feras la moisson dans ton champ, si tu oublies une  gerbe au champ, ne reviens pas la chercher. Elle sera pour l'étranger, l'orphelin et la veuve, afin que Yahvé ton Dieu te bénisse dans toutes tes oeuvres. Lorsque tu gauleras ton olivier, tu n'iras rien y rechercher ensuite. Ce qui restera sera pour l'étranger, l'orphelin et la veuve... Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d'Egypte ; aussi je t'ordonne de mettre cette parole en pratique ».

• Non seulement tu lui permettras de survivre, mais tu te garderas de l'exploiter :

Ex 22, 20 : « Tu n'exploiteras ni n'opprimeras l'émigré, car vous avez été des émigrés au pays d'Egypte ».

  • Non seulement tu ne l'exploiteras pas, mais tu le traiteras comme quelqu'un de ta famille :

 
Lev 19, 33 : « Quand un émigré viendra s'installer chez toi, dans votre pays,  vous ne l'exploiterez pas ; cet émigré installé chez vous, vous le traiterez comme un indigène, comme l'un de vous. Tu l'aimeras comme toi-même, car vous-mêmes avez été des émigrés dans le pays d'Egypte. C'est moi, le Seigneur votre Dieu ».

• Non seulement tu accueilleras l'étranger inconnu, mais tu accueilleras de même celui qui a été ton ennemi : 

Dt 23, 8-9 : « Tu ne considéreras pas l'Édomite comme abominable, car c'est ton frère ; tu ne considéreras pas l'Égyptien comme abominable, car tu as été un émigré dans son pays. Les fils qu'ils auront à la troisième génération entreront dans l'assemblée du Seigneur ».

 • Tu appliqueras la même justice, les mêmes lois à l'étranger qu'à ceux de ton peuple.

Dt24, 17-18 : « Tu ne biaiseras pas avec le droit d'un émigré ou d'un orphelin. Tu ne prendras pas en gage le vêtement d'une veuve. Tu te souviendras qu'en Egypte tu étais esclave et que le Seigneur ton Dieu t'a racheté de là. C'est pourquoi je t'ordonne de mettre en pratique cette parole »

Nb 15, 16 : « 11 y aura une seule loi, une seule règle pour vous et pour l'émigré qui réside chez vous ».

Jr 22, 3 : « Ainsi parle le Seigneur : "Défendez le droit et la justice, libérezle spolié du pouvoir de l'exploiteur, n 'opprimez, pas, ne maltraitez, pas l'immigré, l'orphelin et la veuve, ne répandez pas de sang innocent en ce lieu !" ».

Dt 10, 19 : « Vous aimerez l'émigré, car au pays d'Egypte vous étiez des émigrés ».

Ainsi, la législation sur les émigrés vise généralement à les intégrer dans la communauté Israélite. Si Ex 12, 43 rapporte que : « Le Seigneur dit à Moïse et à Aaron : "voici le rituel de la Pâque : - aucun étranger n'en mangera" », le verset 48 énonce les conditions d'intégration : « Si un émigré installé chez toi veut célébrer la Pâque pour le Seigneur, que tout homme de chez lui soit circoncis. Alors il pourra s'approcher pour la célébrer, il sera comme un indigène du pays. Mais qu 'aucun incirconcis n 'en mange ».

L'arrivée de l'Étranger, signe de salut.

 Dans les prophètes, le salut définitif (eschatologique) accompli par Dieu enfaveur de son peuple sera également visible par l'intégration des étrangers dans le Peuple de Dieu. Ainsi, Is 60, 10 :
« des étrangers relèveront tes remparts » et Is 61, 5 : « Des étrangers viendront paître vos troupeaux ».

En ceci, les disciples du Christ ont reconnu l'arrivée des « temps derniers » en Jésus-Christ, dans la mesure où l'Église assemblait d'emblée les Juifs et les Païens (les Nations étrangères) : « rappelez-vous qu'en ce temps-là vous étiez sans Christ, exclus de la cité d'Israël, étrangers aux alliances de la Promesse, n 'ayant ni espérance ni Dieu en ce monde ! Or voici qu 'à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ » (Eph 2, 12-13).

Les étrangers nous précèdent dans la foi : Dieu se sert d'eux pour sauver son propre peuple

Non seulement l'Écriture révèle la tendresse de Dieu pour tous, mais encore elle met en scène à plusieurs reprises des étrangers dont la foi ou l'action manifestent qu'ils accomplissent la volonté de Dieu et sont habités de son Esprit. Qu'il suffise d'évoquer les figures de Melchisédech (Gn 14), de Rahab la prostituée (Jos 2), de Ruth (Rt) ou de Cyrus le Perse (Is 41, 1-7 ; 42 ; 44, 24-45, 13)...

Tout n'est cependant pas d'un seul tenant, dans l'Écriture,

lieu où s'exprime aussi le long combat de Dieu contre les idées toutes faites. On peut citer en effet quelques textes qui ne favorisent pas les étrangers.

Sir 8, 21 : « En présence d'un étranger ne fais rien de secret, car tu ne sais pas ce qu 'il pourrait en tirer. Ne découvre pas ton cœur à n 'importe qui, on ne t'en saurait aucun gré ».

Sir 11, 31-36 : « Héberge l'étranger et il te jettera dans les tracas, il t'aliénera les tiens ».

Ailleurs, l'Écriture reconnaît combien le statut d'étranger est lourd à porter :

Sir 28, 35 : « C'est une vie misérable que d'aller de maison en maison, et de ne pouvoir ouvrir la bouche parce que tu es étranger. Tu donnes à manger et à boire sans qu'on t'en sache gré, et là-dessus il te faut encore entendre des paroles amères : "viens ici, étranger, prépare la table, si tu as quelque chose, donne-moi à manger." - "Va-t'en, étranger, fais place à plus digne ! Mon frère vient séjourner chez moi, j'ai besoin de la maison." Ce sont des choses pénibles pour un homme lucide que le grief d'être étranger et les outrages d'un créancier ».

Jésus, l'étranger qui reconnaît les siens

Jésus est né « sur la route » ou plutôt dans une étable, parce que ses parents, en voyage, n'avaient pu être reçus nulle part (Le 2, 7). Il a vécu, dès sa naissance, la difficulté d'être en dehors de ses « frontières ». Il fut aussitôt conduit en exil, par crainte d'Hérode (Mt 2, 13-18). « Venu parmi les siens, les siens ne l'ont pas reconnu » (cf. Jn 1, 11). Il a épousé dès le début la condition de ceux pour lesquels la venue du Royaume serait une bonne nouvelle : Dieu est venu pour eux d'abord ! En Jésus, il s'est identifié à eux et a ressenti comme eux l'exclusion et le mépris.

Plus tard, au cours de son ministère public, Jésus demeure surtout au sein de son peuple, mais il reconnaît cependant que les étrangers aussi sont sujets de la tendresse de Dieu. Quelquefois ils donnent l'exemple dans leur manière d'y répondre : cf. Luc 4, 22-30 ; Le 7, 1-10 : « Je vous le déclare, même en Israël, je n'ai pas trouvé une telle foi » ; cf. Mt 8, 5-13 ; Luc 17, 18 : « Il ne s'est trouvé, pour revenir rendre gloire à Dieu, que cet étranger ! ». Sur la croix, c'est un centurion romain qui reconnaît qui il est : Me 15, 39 : « Vraiment, cet homme était fils de Dieu ».

Accueillir l'autre, c'est accueillir Dieu ou ses anges.

Dieu, avant Jésus Christ, s'est déjà identifié à l'étranger de multiples manières.
Abraham accueille Dieu en accueillant les trois étrangers (Gn 18 ; cf. He 13, 2 : « N'oubliez, pas l'hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, ont accueilli des anges »).

Jésus-Christ porte cette Loi à son accomplissement lorsqu'il déclare « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli » (Mt 25, 34-35). Nous ne serons pas jugés sur notre foi, nos pratiques et nos prières, mais sur l'amour partagé sans frontières, l'amour qui rejoint en priorité ceux qui en ont le plus besoin, l'amour qui annonce le Royaume, l'amour qui, en somme, continue la mission de Jésus.
                                                                               
          Emmanuel Lafont,
                                                                            
 Directeur national des OPM-France

   MISSION DE L'ÉGLISE N° 137

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