Pour aller plus loin
Accueillir l'étranger dans la Bible Si l'étranger a presque toujours une place de choix
dans la Bible, c'est parce qu'il est particulièrement cher à Dieu
lui-même. Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de Moïse, le
Père de Jésus-Christ et notre Père s'identifie à l'étranger et va parfois
jusqu'à se faire lui-même l'étranger au milieu de nous. Pourquoi ? C'est pour lui une question de justice. Non pas au sens que ce mot a pour nous aujourd'hui. Dans le sens commun, la justice se trouve comme une personne « neutre » au milieu d'un conflit entre deux personnes. L'une sera déclarée coupable et l'autre sera indemnisée. La société sera protégée. La sécurité sera rétablie. Telle est la justice des hommes, un juste milieu, qui peut d'ailleurs avoir du mal à se situer vraiment de manière juste et au milieu. Pour Dieu, la justice revêt un sens assez différent. Sa justice restaure et réintègre la personne exclue pour une raison ou une autre. Et, dans une société qui se trouve partagée entre ceux qui ont les moyens de vivre et ceux qui ne les ont pas, Dieu prend le parti des derniers. Comme eux, il réclame la justice, la solidarité, voire la compassion et la miséricorde. Avec eux, il attend de ses amis la main tendue et l'œuvre de paix. Pourquoi l'étranger fait-il partie des personnes en
danger ? C'est que, dans la société antique, être seul, c'est être exposé
à tous les dangers, être privé des moyens de subsistance. La terre, en
effet, est le bien du clan, du peuple. Plus profondément, elle appartient
à Dieu (Lev 25, 23). Celui qui n'a plus de peuple ne saurait avoir une
terre. Aucun individu ne peut posséder une terre. Il est condamné à errer.
En cela, l'étranger rejoint les catégories de la veuve et de l'orphelin. Accueillir celui qui a besoin de toi : l'émigré, l'orphelin et la veuve Le devoir d'accueil de l'étranger est inscrit dans la Loi donnée par Dieu à Moïse, au mont Sinaï. On lit, dans le livre du Deutéronome les règles suivantes : •Tu laisseras à l'étranger de quoi se nourrir : Dt 14, 28-29 : « Au bout de trois ans,tu prélèveras
toutes les dîmes de tes récoltes de cette année-là et tu les déposeras à
tes portes. Viendront alors manger le lévite (puisqu'il n'a ni part ni
héritage avec toi), l'étranger, l'orphelin et la veuve de ta ville, et
ils s'en rassasieront. Ainsi Yahvé ton Dieu te bénira dans tous les
travaux que tes mains pourront entreprendre ». Dt 16, 10-14 : « Puis tu célébreras pour Yahvé ton Dieu la fête des Semaines, avec l'offrande volontaire que fera ta main, à la mesure de la bénédiction de Yahvé ton Dieu. En présence de Yahvé ton Dieu tu te réjouiras, au lieu choisi par Yahvé ton Dieu pour y faire habiter son nom : toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite qui est dans tes portes, l'étranger, l'orphelin et la veuve qui vivent au milieu de toi. Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d'Egypte, et tu garderas ces lois pour les mettre en pratique. Tu célébreras la fête des Tentes pendant sept jours, au moment où tu rentreras le produit de ton aire et de ton pressoir. Tu te réjouiras à ta fête, toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite et l'étranger, l'orphelin et la veuve qui sont dans tes portes ». Accueillir en te souvenant que toi aussi, tu as été émigré La motivation de cette Loi est tirée de l'expérience d'Israël lui-même. Il a été étranger, il a su ce que c'était que de mendier, d'être maltraité, privé de liberté. Dieu est venu à sa rescousse. A son tour, il se doit de subvenir aux besoins des étrangers qui croisent sa route : • Tu t'occuperas de l'étranger parce que toi-même, tu fus étranger en terre d'Egypte. Dt 24, 19-22 : « Lorsque tu feras la moisson dans ton
champ, si tu oublies une gerbe au champ, ne reviens pas la chercher.
Elle sera pour l'étranger, l'orphelin et la veuve, afin que Yahvé ton Dieu
te bénisse dans toutes tes oeuvres. Lorsque tu gauleras ton olivier, tu
n'iras rien y rechercher ensuite. Ce qui restera sera pour l'étranger,
l'orphelin et la veuve... Tu te souviendras que tu as été en servitude au
pays d'Egypte ; aussi je t'ordonne de mettre cette parole en pratique ». Ex 22, 20 : « Tu n'exploiteras ni n'opprimeras l'émigré, car vous avez été des émigrés au pays d'Egypte ». • Non seulement tu ne
l'exploiteras pas, mais tu le traiteras comme quelqu'un de ta famille : • Non seulement tu
accueilleras l'étranger inconnu, mais tu accueilleras de même celui qui a
été ton ennemi :
• Tu appliqueras la même
justice, les mêmes lois à l'étranger qu'à ceux de ton peuple. Jr 22, 3 : « Ainsi parle le Seigneur : "Défendez le droit et la justice, libérezle spolié du pouvoir de l'exploiteur, n 'opprimez, pas, ne maltraitez, pas l'immigré, l'orphelin et la veuve, ne répandez pas de sang innocent en ce lieu !" ». Dt 10, 19 : « Vous aimerez l'émigré, car au pays d'Egypte vous étiez des émigrés ». Ainsi, la législation sur les émigrés vise généralement à les intégrer dans la communauté Israélite. Si Ex 12, 43 rapporte que : « Le Seigneur dit à Moïse et à Aaron : "voici le rituel de la Pâque : - aucun étranger n'en mangera" », le verset 48 énonce les conditions d'intégration : « Si un émigré installé chez toi veut célébrer la Pâque pour le Seigneur, que tout homme de chez lui soit circoncis. Alors il pourra s'approcher pour la célébrer, il sera comme un indigène du pays. Mais qu 'aucun incirconcis n 'en mange ». L'arrivée de l'Étranger, signe de salut. Dans les prophètes, le salut définitif
(eschatologique) accompli par Dieu enfaveur de son peuple sera également
visible par l'intégration des étrangers dans le Peuple de Dieu. Ainsi, Is
60, 10 :
En ceci, les disciples du Christ ont reconnu l'arrivée des « temps derniers » en Jésus-Christ, dans la mesure où l'Église assemblait d'emblée les Juifs et les Païens (les Nations étrangères) : « rappelez-vous qu'en ce temps-là vous étiez sans Christ, exclus de la cité d'Israël, étrangers aux alliances de la Promesse, n 'ayant ni espérance ni Dieu en ce monde ! Or voici qu 'à présent, dans le Christ Jésus, vous qui jadis étiez loin, vous êtes devenus proches, grâce au sang du Christ » (Eph 2, 12-13). Les étrangers nous précèdent dans la foi : Dieu se sert d'eux pour sauver son propre peuple Non seulement l'Écriture révèle la tendresse de Dieu pour tous, mais encore elle met en scène à plusieurs reprises des étrangers dont la foi ou l'action manifestent qu'ils accomplissent la volonté de Dieu et sont habités de son Esprit. Qu'il suffise d'évoquer les figures de Melchisédech (Gn 14), de Rahab la prostituée (Jos 2), de Ruth (Rt) ou de Cyrus le Perse (Is 41, 1-7 ; 42 ; 44, 24-45, 13)... Tout n'est cependant pas d'un seul tenant, dans l'Écriture, lieu où s'exprime aussi le long combat de Dieu contre les idées toutes faites. On peut citer en effet quelques textes qui ne favorisent pas les étrangers. Sir 8, 21 : « En présence d'un étranger ne fais rien de secret, car tu ne sais pas ce qu 'il pourrait en tirer. Ne découvre pas ton cœur à n 'importe qui, on ne t'en saurait aucun gré ». Sir 11, 31-36 : « Héberge l'étranger et il te jettera
dans les tracas, il t'aliénera les tiens ». Jésus, l'étranger qui reconnaît les siens Jésus est né « sur la route » ou plutôt dans une
étable, parce que ses parents, en voyage, n'avaient pu être reçus nulle
part (Le 2, 7). Il a vécu, dès sa naissance, la difficulté d'être en
dehors de ses « frontières ». Il fut aussitôt conduit en exil, par crainte
d'Hérode (Mt 2, 13-18). « Venu parmi les siens, les siens ne l'ont pas
reconnu » (cf. Jn 1, 11). Il a épousé dès le début la condition de ceux
pour lesquels la venue du Royaume serait une bonne nouvelle : Dieu est
venu pour eux d'abord ! En Jésus, il s'est identifié à eux et a ressenti
comme eux l'exclusion et le mépris. Accueillir l'autre, c'est accueillir Dieu ou ses anges. Dieu, avant Jésus Christ, s'est déjà identifié à
l'étranger de multiples manières. Jésus-Christ porte cette Loi à son accomplissement
lorsqu'il déclare « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le
Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu
faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à
boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli » (Mt 25, 34-35). Nous
ne serons pas jugés sur notre foi, nos pratiques et nos prières, mais sur
l'amour partagé sans frontières, l'amour qui rejoint en priorité ceux qui
en ont le plus besoin, l'amour qui annonce le Royaume, l'amour qui, en
somme, continue la mission de Jésus. MISSION DE L'ÉGLISE N° 137 |