L’art roman, unificateur de l’Europe chrétienne

Qu’appelle-t-on l’art roman ?
Le terme « roman » dérive du mot romanz, qui apparaît au XIIe siècle pour désigner les langues populaires par opposition au latin classique, langue des élites cultivées. Il s’est ensuite étendu à une forme littéraire en prose écrite en ancien français. Ce n’est qu’au XIXe siècle, avec la revalorisation de l’époque médiévale, que le terme en vient à désigner un style spécifique, distinct du gothique, qui naît en Europe méridionale (nord de l’Italie, Catalogne) à la fin du Xe siècle et se développe jusqu’à la fin du XIIe. L’art roman est le premier grand style unissant l’Europe chrétienne.

Dans quel contexte historique est-il apparu ?

Comme l’explique Alain Erlande­Brandenburg (1), la fin du X° siècle est marquée par une série de changements qui favorisent un nouvel élan bâtisseur et créent les conditions d’un renouveau de l’art. L’arrêt des invasions nordiques et la limitation de la violence des seigneurs par le mouvement de la «paix de Dieu» relancent les échanges commerciaux. Les grands défrichements et la diffusion de nouvelles techniques améliorent la vie rurale, favorisent la croissance démographique et le développement des villes. Un vaste réseau de voies de communication relie les régions. L’affaiblissement du pouvoir carolingien permet l’émergence d’une société féodale avec une hiérarchie pyramidale. Enfin, la conversion au christianisme de grands seigneurs et de souverains, entraînant celle de leur peuple, permet d’établir l’unité de l’Europe.
L’Église, de son côté, entreprend des réformes. La fondation de Cluny en Bourgogne en 909 joue un rôle essentiel : son fondateur soustrait l’abbaye à l’autorité civile et religieuse pour ne la faire dépendre que de Rome, échappant ainsi au pouvoir politique et à la hiérarchie ecclésiastique du lieu. Son exemple fera tâche d’huile. L’élection de Grégoire VII (1073­1085) sur le trône pontifical marque l’engagement définitif de l’Église dans cette voie – d’où l’appellation de « réforme grégorienne ». L’Église, qui était sous le contrôle des seigneurs et des empereurs, instaure son indépendance et sa suprématie sur toutes les formes de pouvoir terrestre.
Ces transformations radicales ne sont pas sans répercussions sur la création artistique. Des maîtres d’ouvrage, laïcs et religieux, considèrent alors que l’activité créatrice, l’architecture en particulier, est un élément fondamental de leur participation à la réforme grégorienne. L’ordre clunisien, mais aussi l’ordre cistercien qui s’en démarque au XII° siècle, joueront un rôle essentiel dans la diffusion des techniques permettant la naissance de l’art roman.

Quelles nouveautés ce style impose-t-il ?

De manière générale, le plan basilical des églises, hérité de Constantin et conservé à l’époque carolingienne, est respecté : longs volumes rythmés par une double colonnade, murs lisses percés dans leur partie haute de fenêtres. Mais des modifications sont apportées. La travée romane rythme par sa répétition le volume intérieur de l’église. Le chevet, qui accueille désormais autels et reliques, est amplifié et sacralisé, et se distingue clairement de la nef destinée au chœur des religieux et aux fidèles. La façade occidentale, par laquelle entrent les fidèles se développe, s’enrichit de tours et de portails. L’innovation capitale consiste à remplacer la charpente en bois par le voûtement en pierre et à utiliser l’arc en plein cintre, dont la prolongation progressive sur toute la longueur de la nef forme une voûte en berceau. Ce choix, caractéristique de l’art roman, a l’avantage de limiter les risques d’incendie et d’offrir une acoustique supérieure. C’est lui qui détermine les principes de construction des édifices romans.
Les architectes imaginent alors des solutions pour contrebalancer la poussée exercée par la voûte de pierre, très lourde, sur les murs qui la supportent. Ils épaississent considérablement les murs, réduisent voire suppriment les baies hautes – donc l’éclairage direct –, rendent les piliers plus massifs. Par ailleurs, ils aménagent des tribunes au-dessus de nefs collatérales pour contrebuter la poussée latérale qui s’exerce à la naissance de la voûte. Et les murs de ces tribunes seront percés d’ouvertures pour éclairer le vaisseau central.
Pour faire plus large et plus haut, ils vont ensuite consolider la voûte en berceau plein cintre par l’adjonction à intervalles réguliers d’arcs transversaux ou arcs-doubleaux supportant la voûte de travée en travée et la soulageant en partie de son poids. Ces arcs sont doublés à l’extérieur par des contreforts qui épaulent de point en point l’édifice. Des voûtes d’arêtes – deux berceaux se croisant à angle droit – sont également utilisées dans le voûtement des collatéraux pour orienter les charges sur les quatre piliers soutenant les arcs et soulager les murs, qui peuvent dès lors s'ouvrir et laisser entrer la lumière.
Ces constantes donnent une unité de style aux édifices romans, qui n'exclut pourtant pas l'expression des particularismes locaux.
À l'époque ramone, les maîtres d'ouvrage vont également redonner à l'image un statut qui lui avait été refusé, pour permettre une meilleure compréhension par les fidèles des mystères de la foi. Les longs murs nus du vaisseau central reçoivent parfois un décor peint. Plus généralement, les chapiteaux sont sculptés de décors animaliers, géométriques ou végétaux. Et le tympan, œuvre de maîtres sculpteurs, s'impose comme une composante essentielle du portail.

                                                                                                                                            

( 1 )Dans L'Art roman , un défi européen  (Gallimard)                                                                                       MAR TI N E D E S A UT O


Une architecture pour la circulation des pèlerins

 1.L’abside. Le développement du culte des reliques et l'essor des pèlerinages à partir du XI° siècle ont donné naissance à une architecture fonctionnelle, qui se caractérise par un plan cruciforme à déambulatoire et à chapelles rayonnantes. Objectif: faciliter la circulation des pèlerins autour de l'autel et l'accès aux reliques, contenues dans des reliquaires souvent richement décorés, ou à la crypte. L'autel majeur et les reliques privilégiées du sanctuaire sont réunis dans le chevet, les autels secondaires avec leurs propres reliques dans les chapelles rayonnantes de l'abside.

 2. Le transept. Donnant à l'édifice sa forme typique de croix latine, il permet d'apporter une lumière de tous côtés et d'aménager des portails latéraux. La croisée du transept est généralement coiffée d'une coupole ou d'une tour lanterne qui crée un axe vertical.

3. La nef. A la nef centrale s'ajoutent des nefs latérales, appelées aussi "bas-côtés", qui agrandissent l'édifice et servent e contre-butement à la poussée de la voûte sur les murs porteurs. Dans les grandes églises, ces nefs "collatérales" sont surmontées de tribunes.

4. La voûte en berceau plein cintre..
Elle f orme un demi-cercle couvrant le vaisseau central de la nef. L'arc en plein cintre est formé de pierres ( les claveaux) taillées de telle manière qu'une fois posées, elles se bloquent mutuellement. Le claveau central, ou "clé de voûte" est le dernier posé. La voûte d'arêtes couvre des collatéraux et le déambulatoire.  La voûte en demi-berceau couvre la tribune ou les collatéraux. La voûte en cul-de-four, en forme de demi-coupole, recouvre l'abside, les chapelles rayonnantes et les absidioles. .

5. Les supports. Les colonnes reçoivent les retombées des arcs. Au sommet, le chapiteau est décoré et sculpté. Les piliers, qui supportent des charges plus lourdes, ont des formes variées. Quatre piliers reliés par des arcs forment la travée. A l'extérieur, les contreforts épaulent l'édifice.

6. Les baies. Elles sont rares et étroites, afin de favoriser le recueillement. Mais, pour faire pénétrer davantage de lumière, les embrasures sont taillées en biais. Des baies aveugles rompent la monotonie des murs.

7. Le portail occidental. . L’art roman a réhabilité la sculpture. L'iconographie du portail, et notamment du tympan, traite généralement, mais 
avec des nuances importantes, du Jugement dernier, de la rédemption et de la vision finale de l'Apocalypse. Pour mieux frapper les esprits avant d’entrer dans l'église, des couleurs venaient rehausser les sculptures.

                       Site du journal de la Croix                                                               La Croix      22/23.09.2007