LA CHAPELLE DE BIRLINGEN
Une petite chapelle d’apparence modeste, au riche passé
HISTORIQUE
La « Curtis de Bürtlingen » est citée dans une charte du Comte
Thiébaud de Ferrette en 1295. Cette cour ou grangia
(1),
située entre Cernay et Steinbach, dépendait de l'Abbaye de Lucelle
(dans le Sundgau). Elle jouissait de privilèges, comme l'exonération
de l'impôt dû à la ville de Cernay, et cultivait de la vigne,
culture répandue autour de Birlingen. Cette « cour » est mentionnée
en 1435 dans un document de l'Abbaye de Murbach sous le nom de
« Curia in Burlingen ».
Au XVIe siècle, la « cour » fut érigée en prieuré
dépendant de l'ordre cistercien de Lucelle et disposant de ses
propres revenus : outre ses vignes, elle recevait de l’argent, de
l’avoine, de l’orge, des poules fournis par les villages alentour.
Deux des prieurs furent Morand Strauss (1600) et Diebolt Kauffmann
(1615).
En 1531, un acte entre l'Abbaye de Lucelle et la communauté de
Steinbach mentionne un « Bildsteckla » (niche contenant une
statuette de la Vierge). En 1581, dans un autre acte, il est demandé
de dire des messes dans la chapelle de Birlingen.
Un hameau, peuplé en grande partie de vignerons, s’était formé
autour du petit monastère. Du fait des guerres et des invasions
incessantes, ce hameau disparut assez rapidement. Vers 1618, il ne
subsistait qu’une chapelle et deux maisons.
(2)
Le 14 septembre 1606, jour de la fête de l’Exaltation de la
Sainte-Croix, la chapelle rénovée fut bénie par Monseigneur Franz,
évêque auxiliaire de Bâle
(3).
Au XVIIe et XVIIIe siècles, de nombreux
mariages steinbachois, cernéens et thannois y furent célébrés par le
curé attaché au sanctuaire. La chapelle, qui abritait une statue
dite miraculeuse de la Vierge
(4),
était devenue un lieu de pèlerinage d’une certaine renommée. Les
pèlerins venaient honorer Notre-Dame et implorer sa protection pour
eux-mêmes et leurs biens.
Voici un extrait de l’ancienne prière composée en l'honneur de
Notre-Dame du Birlingen : « J'implore pour moi et pour tous ceux
qui viendront vous y rendre leurs hommages votre puissant secours
dans tous nos maux, particulièrement pour qu'il vous plaise de nous
obtenir, comme vous le pouvez, de Jésus votre cher Fils, le pardon
pour tous nos péchés, la grâce que nos âmes soient préservées de la
damnation éternelle et nos biens du feu, de la grêle et du tonnerre. »
Les habitants de Cernay, Vieux-Thann, Wittelsheim et d'ailleurs
affluaient en processions selon un calendrier précis : semaine des
Rogations
(5)
pour Wittelsheim ; 15 août, fête de l'Assomption, pour Cernay et 14
septembre, jour de l'Exaltation de la Sainte-Croix, pour
Vieux-Thann. En 1669, le jour de la fête de sainte Marie-Madeleine,
eut lieu un grand pèlerinage de pénitence, avec procession, chants
et prières du chapelet, organisé par le curé de Saint-Amarin, Johann
Stippich, ancien curé d'Uffholtz.
Le pèlerinage prit de l’importance en 1778, lorsque Cernay transféra
« Le Grand Bon Dieu », une grande croix sculptée dans du bois de
peuplier, à la chapelle de Birlingen.
Les pèlerinages se poursuivirent jusqu’à la Révolution et le curé de
Steinbach continua à célébrer des messes dans la chapelle jusqu'en
mai 1791.
Deux ans après la Révolution, confisquées et déclarées « Bien
national », la chapelle et les deux maisons qui subsistaient de
l’ancienne cour de Lucelle furent vendues aux enchères et acquises
par Monsieur Oehl, fabricant de papier de Cernay,
pour être démolies.
La statue fut alors recueillie et cachée dans du foin par la famille
Schnebelen ; un descendant, de la famille Augustin, en fit don à
l’église de Cernay. La statue n'est plus jamais revenue à Birlingen
et se trouve actuellement dans la nef transversale gauche de
l'église Saint-Etienne de Cernay. La Croix du Grand Bon Dieu fut
sciée en trois parties par trois Cernéens qui les cachèrent dans les
décombres de la chapelle
(6).
Cette dernière et les deux maisons, derniers vestiges du hameau de
Birlingen, furent démolies en 1803 et les pierres servirent à la
construction de maisons cernéennes, dont l’ancienne gendarmerie. Sur
les ruines du sanctuaire, la famille Vallé fit élever un oratoire en
l’honneur de la Vierge, remplacé par une croix en 1826. Une « petite
maison » à la Vierge fut érigée à proximité de l'ancien lieu de
pèlerinage.
Après être passé par plusieurs mains, le terrain composé de prés et
surnommé « Birlingermatten » fut acheté par les familles Deiber et
Rollin de Steinbach. En 1894, Dominique Deiber, bienfaiteur de la
Paroisse, fit don à l'Eglise de Steinbach d'une parcelle de ce
terrain sur laquelle il fit ériger une chapelle un
peu plus grande, dédiée à « La Reine du Rosaire » et bénie le 24
mars de la même année.
Vingt ans plus tard, la chapelle, située tout près du front, fut
presque entièrement détruite lors des violents combats de décembre
1914 et janvier 1915, qui aboutirent à la libération de Steinbach.
L’édifice actuel fut reconstruit en 1930.
Dès février 1929, la
Coopérative de Reconstruction des Eglises Catholiques Dévastées du
Haut-Rhin demanda à Louis Schwartz, architecte mulhousien, « de
dresser des plans, selon la décision de la Commission Diocésaine,
pour la construction d’une chapelle rurale et simple, pouvant
contenir un autel et quelques bancs, et donner abri à plusieurs
personnes. Le toit devra être surmonté d’un petit clocheton, les
fenêtres en ogive (XVe) ». La somme mise à sa
disposition par la Coopérative était de 20 000 francs, non compris
l’ameublement et les honoraires. En septembre 1929, l’architecte
directeur, P. Kirchacker, commanda la reconstruction de la chapelle,
« à prix net et à forfait de 25 000 francs » à l’entreprise
Schlachter d'Altkirch
(7)
pour des travaux de maçonnerie, couverture, plâtrerie, charpente,
zinguerie et ferronnerie. Les travaux étaient à effectuer dans le
plus bref délai.
En mai 1930, P. Kirchacker commanda à Albert Gerrer, peintre-verrier
mulhousien, « deux petits vitraux d’art mis en plomb, exécution
en ‘ Butzen ‘ véritable, fond verdâtre, avec un filet de bordure
autour de chaque fenêtre et grillages extérieurs protecteurs »
pour le prix net et à forfait de 1 670 francs.
En juillet 1930, des peintures furent commandées à Madame Veuve D.
Claerr de Dornach, au prix forfaitaire de 1 770 francs, « pour la
double peinture au carbolinéum des têtes de poutrelles de la toiture
ainsi que de la porte en fer. »
En septembre 1930, Georges Farnier, fondeur de cloches à Robécourt
(Vosges), reçut la commande « d’une petite cloche de 18 à 20
kilos, diamètre 0,32m au maximum, avec câble de sonnerie de 7m et
poignée, portant l’inscription suivante : ‘Chapelle Birlingen.
Steinbach. Reconstruction 1930’. »
Les travaux de peinture intérieurs furent confiés au peintre Dickele
de Mulhouse. Sur le mur du fond, une scène représentait les combats
sanglants de Steinbach et de la Cote 425, en hommage aux victimes de
la guerre
(8).
La chapelle fut consacrée le 15 mai 1932 (dimanche de Pentecôte),
dans le recueillement et la joie par le chanoine Camille Tschirhart,
curé de Cernay. Le 9 juin, le curé Augustin Grieshaber de Steinbach
put y célébrer un premier mariage, puis des messes à certaines dates
de l'année (en particulier au mois de mai, mois de Marie). Les
processions des Rogations faisaient halte à la chapelle.
Alors isolée du village, celle-ci était joliment située au milieu de
prés et de vignes et invitait les passants à faire halte pour prier
ou se recueillir.
La chapelle, qui avait beaucoup souffert lors des combats de
1944-45, fut rénovée en 1955 par le Conseil de Fabrique de l'Eglise
de Steinbach. En septembre de la même année elle fut bénie par
Monseigneur Vogel, évêque missionnaire expulsé de Chine, lors d’une
cérémonie très solennelle, en présence de nombreuses personnalités
civiles et religieuses, de villageois et de pèlerins des environs.
DESCRIPTION
Lors de la rénovation de 1994, la couverture, la zinguerie, la
charpente, la peinture, la ferronnerie de la grille, l’installation
électrique ainsi que le clocheton, signal et rappel que l’édifice
est un lieu de prière,
furent restaurés pour un montant total de 100 000 francs.
La statue néo-gothique de la Vierge, en pierre sablée, sculptée par
les ateliers Berger-Rudloff
(9),
porte l’inscription « Rosa Mystica, ora pro nobis » (Rose Mystique,
priez pour nous).
L'autel en fonte, réalisé par les Fonderies de Vaucouleurs
(Lorraine) lors de la construction de 1894, a fait place à
un autel en grès jaune sur le devant duquel sont sculptées,
entrelacées, les initiales A et M pour Ave Maria.
Aucun document ne permet de préciser la date d’installation de la
statue de la Vierge ainsi que de l’autel, en place avant la
restauration de 1994.
Une plaque provenant de la chapelle Saint-Léon du couvent de
l’Oelenberg a été scellée sur l’autel lors de la restauration de
1994.
Un crucifix et une statue du Sacré-Cœur de Jésus, de part et d’autre
de la Vierge, des bougies et des fleurs déposées par des voisins
attentionnés, des vitraux partiellement colorés constituent une
décoration d’une touchante simplicité.
La chapelle peut accueillir une vingtaine de fidèles.
La statuette en bronze placée dans la niche au-dessus de l'entrée a
été offerte par Madame Marthe Luttenauer, veuve de Louis Luttenauer
fusillé par les Allemands le 6 décembre 1944 à Rammersweier
(Allemagne).
Sur une pierre extérieure scellée dans le mur, une épigraphe
indique : « Sous le règne glorieux du Pape Léon XIII, Adolphe,
évêque de Strasbourg, Charles Kieffer, curé de Steinbach, a été
érigée cette chapelle à la Reine du Rosaire par la famille Dominique
Deiber, en l'an du Seigneur 1894. ».
L’auvent permet de se protéger du soleil ou de la pluie.
Deux noms de rues, « Rue du Birling » et « Rue du Monastère »,
rappellent l’existence du hameau et du prieuré aujourd’hui disparus.
Le village de Steinbach s’étant considérablement agrandi, la
chapelle se trouve aujourd’hui entourée d’habitations. Il est moins
facile de s’y arrêter.
La chapelle du Birlingen se trouve sur le chemin de Saint-Jacques.
Un panneau du Club Vosgien indique « Compostelle à 2177
kilomètres ». A droite de l‘entrée, un boitier au couvercle
recouvert d’une coquille stylisée et vernissée renferme un tampon
que les pèlerins peuvent apposer sur leur crédencial
(10),
attestant ainsi de leur passage par cette étape du Chemin
NOTES
(1)
Une « Grangia » était, au Moyen-Âge, un établissement agricole (grande
ferme avec dépendances) qui dépendait généralement d’un monastère.
(2)
Un article des années 1930 indique que sur les 550 villages alsaciens
aujourd’hui disparus, un tiers a été « gommé » pendant la Guerre de
Trente ans (1618-1648).
(3)
Jusqu’en 1789, les paroisses d’Alsace dépendaient du diocèse de Bâle.
(4)
D'après la légende la statue, qui avait été mise à l’abri dans l'église
de Wittelsheim pendant une guerre du Moyen-Âge, était revenue
mystérieusement au Birlingen à trois reprises. Ces signes incitèrent les
témoins à construire sur place un sanctuaire.
(5)
Rogations : cérémonies qui ont pour but d’attirer les bénédictions
divines sur les récoltes et les travaux des champs (3 jours avant
l’Ascension)
(6)
Sortie de sa cachette en 1808 et restaurée, la croix transita dans
différents lieux et se trouve maintenant dans l’Eglise Saint-Etienne de
Cernay.
(7)
P. Kirchacker fut également l’architecte-directeur pour la construction
de la chapelle Saint-Morand de la Lohe. Pour les deux chapelles,
(re)construites en 1930, il fit appel à
l'entreprise Schlachter d'Altkirch et à Albert Gerrer, peintre-verrier
de Mulhouse.
(8) Il ne reste aucune trace de cette reproduction qui voulait associer,
au culte de la Vierge, une invitation à la paix.
(9)
Berger-Rudloff, d’Ingersheim, a réalisé, entre autres, le Monument aux
Morts de Seppois-le-Bas et la Croix de Chemin, rue de Soultz à
Wattwiller.
(10)
La « crédencial », délivrée par les associations jacquaires ou
« créanciale » si elle est délivrée par l’Eglise, est un passeport du
pèlerin ou une lettre de recommandation à faire tamponner à chaque
étape. Elle permet d’accéder aux gîtes réservés aux pèlerins et
d’obtenir la « Compostela », certificat de pèlerinage, à l’arrivée à
Saint-Jacques-de-Compostelle.
CLIN D’ŒIL A
Notre-Dame de Steinbach : une lettre trouvée en 2013 dans les archives
de la Mairie de Steinbach, datée du 14 juin 1953, fait allusion à une
statue de la Vierge, mise à l’abri lors des combats de Steinbach de
décembre 1914. Elle indique que « il s’agit vraisemblablement d’une
statue de la chapelle Bierling ». Par la suite, la statue se
retrouva en Saône-et-Loire où la famille qui l’avait recueillie accepta
de la donner à la commune à l’occasion de la commémoration du Centenaire
de la Grande Guerre. S’agit-il de la statue de 1894 ? L’énigme demeure…
Les différentes statues de la Vierge de Birlingen témoignent de la
vénération que les fidèles lui ont portée à travers les siècles.
BIBLIOGRAPHIE
- Archives municipales de
Steinbach
-
Articles de
« L'Alsace » : - 04/09/1955 : « Bénédiction de la chapelle rénovée de
Notre-Dame de Birlingen »
- 29/07/1994 : « Rénovation de la chapelle du Birlingen »
- 01/10/94 : «
Chapelle du Birlingen : visites et prières »
- 08/10/95 : « L’ancien pèlerinage de Birlingen » (A.
Berg)
- 15/11/98 « Miraculeuse et Miraculée Notre-Dame de
Birlingen » (Emmanuel Job)
- « Entre
Cernay et Steinbach : Birlingen » (Emmanuel Job)
-12/08/2012/ « Villages
disparus : Birlingen, Terre de Pèlerinage »
-
De Bussière Marie-Théodore (Vicomte) : « Cultes et Pèlerinages
à la Très Sainte Vierge »
Editions Plon (Paris) 1862
-
Dépierre Joseph : « Cernay, son passé, son présent » (1907)
-
Josbert Léon : « U.L. Frau von Birlingen bei Steinbach »
Editions Alsatia (Mulhouse) 1933
-
Stintzi Paul : « La Chapelle de Birlingen et la Vierge de
Cernay »
|