La longue histoire de Birlingen
A mi-chemin entre Cernay ct Steinbach, une chapelle au bord de la route
s’intègre dans un quartier résidentiel. Il n'en a pas toujours été ainsi.
L'édifice n'est que le témoin actuel d'une histoire qui commence au Moyen Age et
au milieu des vignes.
En
remontant la rue de Cernay à Steinbach, s’élève à gauche la chapelle de
Birlingen de facture récente. Sur le côté du petit bâtiment, une plaque ancienne
indique qu'il a été construit en 1894 par la famille Dominique Deiber, alors que
Charles Kieffer est curé de Steinbach, Adolf Fritzen évêque de Strasbourg et
Léon XIII pape. Pourtant l'histoire de Birlingen commence bien avant.
Les vignes de l’abbaye de Lucelle à Steinbach
Même si une exploitation viticole est déjà citée à la fin du XII° siècle, ce
n'est qu'au XIII °siècle que la « curtim de Burtlingen », propriété de l'abbaye
de Lucelle, près de la frontière suisse, est citée nommément pour la première
fois. Les textes anciens parlent de moines à la tête de l'établissement à partir
de 1331, regroupant sans doute la production d'autres propriétés dans les villes
et villages environnants.
En 1580, Birlingen devient une prévôté avec à sa tête un prieur qui est tenu de
dire la messe plusieurs fois par semaine. Une chapelle
est donc attestée dès cette période. Le prieur veille sur la poignée de moines
présents, mais aussi sur la bonne tenue des vignes de l'abbaye dans la zone.
Pour ce qui est des vignes spécifiquement de Steinbach, un vigneron réside sur
place. En 1600, à Cernay /Steinbach, Lucelle possède environ 50 schatz de vignes
et 50 schatz de champs (un schatz = 6,39 ares). Après la Guerre de Trente ans,
le prévôt est remplacé par un receveur laïque.
En 1606, l'évêque de Bâle bénit la chapelle rénovée de Birlingen. Est-ce à cette
date qu'apparaît la statue de Notre-Dame de Birlingen, actuellement visible à
l'église de Cernay ? Les spécialistes en art la situent au XVII° siècle. C'est
aussi à cette époque que Birlingen devient un lieu de pèlerinage. La chapelle
est très prisée pour y organiser des mariages. Plusieurs processions annuelles y
sont organisées depuis Wittelsheim, Cernay et Vieux-Thann.
Disparitions et renaissances
Lorsqu'éclate la Révolution française, Birlingen subit le sort de nombre de
propriétés religieuses. Le domaine, qui ne compte plus que la chapelle et deux
maisons, est vendu comme bien national en 1793-1794 à un fabricant de papier
cernéen du nom d'Oehl. Ce dernier démolit l'ensemble, récupère les matériaux et
fait construire le bâtiment qui deviendra plus tard la gendarmerie de Cernay.
Lorsque les esprits révolutionnaires sont calmés, une famille de la région fait
construire sur les fondations une petite chapelle qui subsiste jusqu'en 1826, où
un calvaire la remplace. En 1894, sur la parcelle de terrain qu'il rachète,
Dominique Deiber fait construire une nouvelle chapelle qu'il offre à la paroisse
de Steinbach.
Vingt ans plus tard, les combats de la Grande Guerre, et en particulier ceux de
la Côte 425 toute proche, ruinent le petit bâtiment. En mai 1932 est inaugurée,
grâce aux dommages de guerre, la chapelle actuelle. En 1994, une statuette en
bronze est offerte par Madame et placée au-dessus de la porte d'entrée, alors
que le sanctuaire est entièrement rénové et est désormais entouré d'habitations.
Et la statue de Notre-Dame de Birlingen ? Pendant la Révolution, comme toutes
les représentations religieuses, la statue de Notre-Dame de Birlingen est vouée
à la destruction. Grâce à une famille de Steinbach, la vierge en bois
polychrome, haute de 95 centimètres, est sauvée et cachée dans du foin.
Aux jours meilleurs, l’œuvre est offerte à l'église Saint-Étienne de Cernay. Il
y a peu, elle a même retrouvé ses magnifiques vêtements brodés, son sceptre et
sa couronne, participant ainsi activement à la politique de rénovation et
d'embellissement engagée par la paroisse de Cernay.
L'Alsace du 25.07.2023
Emmanuel JOB
SOURCES Cernay, son passé, son présent,
J. Depierre (1907) ; Steinbach-Cernay, histoire d'un vignoble, D.lngold (1990) ;
U. L. Frau von Birlingen bei Steinbach, L. Josbert, Ed. Alsatia (1955), Culte et
pèlerinage de la très Sainte Vierge en Alsace, Vicomte de Bussière, Ed. Plon
(1862).
La Vierge et Wittelsheim
L’abbaye de Lucelle, à qui appartient Birlingen, possède aussi de
nombreux biens à Wittelsheim, Graffenwald et Wigenheim (hameau disparu entre
Cernay et Wittelsheim). Ce qui pourrait expliquer pourquoi Birlingen est relié à
Wittelsheim…
Selon une légende, lors d'une période trouble du Moyen Âge, les habitants de
Wittelsheim, craignant que la statue soit en danger, la ramènent en procession
dans leur propre église. Mais la statue, sans que l’on puisse en expliquer la
raison, se retrouve le lendemain à Birlingen. Et cela va se produire à trois
reprises. Après ce « miracle », comme Ia statue ne « souhaite » pas venir à eux,
les Wittelsheimois organiseront chaque année et jusqu'à la Révolution française,
une procession à Birlingen. Une autre tradition voudrait que les habitants de
Wittelsheim aient ramené au début de la Révolution la statue dans leur église,
puis au plus fort de la Terreur, qu'ils l'auraient cachée dans une maison pour
finalement la rendre au culte en 1799.