Béatification et canonisation |
Depuis
1588, les deux étapes sont distinctes. Aujourd’hui, la béatification n’a
pas la même portée que la canonisation, mais l’une et l’autre relèvent
uniquement de l’autorité du pape. Pourquoi l’Église fait-elle une distinction entre les saints et les bienheureux ? Le besoin de vénérer des personnes dont la vie semble avoir mérité le partage de la sainteté divine est presque aussi vieux que l’Église elle-même, dès les premiers martyrs. Au Moyen Âge, devant la multiplication de cultes locaux, les évêques commencent à intervenir. Jusqu’à ce que les papes, à leur tour, en revendiquent, comme pasteur de l’Église universelle, le contrôle (XIIe siècle). À partir du XIVe siècle, les papes autorisent un culte restreint pour des serviteurs de Dieu dont la cause de canonisation n’est pas encore terminée. On les appelle « bienheureux ». C’est avec Sixte V, en 1588, que les deux étapes, béatification et canonisation, deviennent distinctes, même si l’une et l’autre relèvent du pouvoir pontifical. La différence est dans la portée du culte rendu : la canonisation est la glorification suprême, de la part de l’Église, d’un serviteur de Dieu élevé au rang des autels (saint), et elle engage le magistère solennel du Pontife romain. La béatification, elle, consiste seulement en la concession d’un culte public sous forme d’indult, limité donc, pour un serviteur de Dieu dont les vertus héroïques ont été reconnues. À partir de 1971 avec Maximilien Kolbe, Jean-Paul II avait pris l’habitude de présider personnellement les béatifications, et l’on distinguait mal ces célébrations d’avec les canonisations. C’est la raison pour laquelle Benoît XVI a décidé, dès septembre 2005, que les béatifications seraient présidées par un représentant nommé par le pape, et non par celui-ci en personne, sa présence n’étant pas indispensable. Il a souhaité également que les béatifications se tiennent dans les Églises locales, et non plus à Rome, contrairement aux canonisations. Que faut-il pour être béatifié ou canonisé ? N’est pas saint qui veut ! Les causes en béatification ou canonisations sont soumises à des critères extrêmement rigoureux, même si Jean-Paul II, avec la constitution Divinus perfectionis Magister (1983), a simplifié la procédure pour donner un nouvel élan au culte des saints. Il s’agit d’abord de démontrer le rayonnement spirituel du «serviteur de Dieu» après sa mort. C’est un signe de sa participation à la sainteté de Dieu et l’assurance que son exemple est accessible et bienfaisant au peuple chrétien. « Il est clair que l’on ne pourra pas ouvrir une cause de béatification en l’absence d’une réputation de sainteté démontrée, même si l’on se trouve en présence de personnes qui se sont distinguées par leur cohérence évangélique et par leurs mérites ecclésiaux et sociaux particuliers », a expliqué Benoît XVI. C’est là qu’entre en ligne de compte la reconnaissance d’un miracle (lire encadré). Ensuite, on doit établir son martyre ou ses « vertus chrétiennes » ; le martyre suffit à rendre exemplaire, au cas où le reste de sa vie ne l’aurait pas été…
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Quelle est la procédure ? Elle est identique pour la béatification et la canonisation. C’est à l’évêque du lieu où le serviteur de Dieu est mort qu’il revient de décider d’ouvrir une enquête. Il doit pour cela attendre un délai de cinq ans après la mort. Ce délai ne cesse d’ailleurs d’être réduit : le code de droit canonique de 1917 fixait le seuil à cinquante ans, même si la règle subissait déjà des entorses – comme pour Thérèse de l’EnfantJésus, béatifiée vingt-cinq ans après sa mort. Le code de 1983 a raccourci cette attente à cinq ans au moins. Et encore cela semble-t-il parfois trop long à nos sociétés pressées, comme on a pu le voir dans les cas de Mère Teresa de Calcutta, puis de Jean-Paul II. L’évêque recueille le dossier sur la vie du serviteur de Dieu, constitué par le prêtre qui a été nommé « postulateur » de la cause. Cette étude de tous les écrits et témoignages sur la personne est fondamentale. D’où la tendance des congrégations ou des diocèses de nommer postulateurs des personnalités qui ont une habitude des affaires romaines… L’évêque fait ensuite procéder à l’examen des écrits par deux théologiens, pour voir «si rien n’y est contraire à la foi ni aux bonnes mœurs » . Enfin, il fait entendre les témoins oculaires, produits par le postulateur ou commis d’office. Copie de tous ces actes est envoyée en double exemplaire à la Congrégation des causes des saints, au Vatican. Cette enquête diocésaine peut durer entre un et cinq ans. La Congrégation des causes des saints demande alors à l’un de ses rapporteurs d’établir la positio . Celle-ci est soumise aux consulteurs théologiens, qui se réunissent sous la présidence d’un promoteur de la foi (jadis appelé « l’avocat du diable»), dont la mission est de ne rien laisser dans l’ombre. Le dossier est examiné par les évêques et cardinaux membres de la Congrégation. C’est à ce stade que les délais sont les plus longs : s’il faut un ou deux ans pour élaborer une positio, le temps d’attente pour l’examen en Congrégation est important, car le nombre de dossiers s’est multiplié et les évêques ne se réunissent que quatre ou cinq fois par an. Douze ans d’attente en moyenne aujourd’hui ! Mais pour des causes jugées importantes, le pape peut toujours accélérer l’examen. Le jugement des évêques et cardinaux de la Congrégation est formalisé par le décret sur l’héroïcité des vertus, mais c’est au pape que revient l’ultime décision. Pour qu’un bienheureux soit canonisé, il faudra ensuite qu’intervienne un nouveau miracle, établi dans les mêmes conditions que le premier (lire encadré) . La décision finale revient, là encore, au pape. ISABELLE DE GAULMYN |
Le miracle Pas de saint sans miracle ! Là encore, il s’agit d’une tradition constante de l’Église : comme le disait récemment le pape, « outre le fait de nous rassurer sur le fait que le serviteur de Dieu vit au ciel en communion avec Dieu, les miracles constituent la confirmation divine du jugement exprimé par l’autorité ecclésiastique sur sa vie vertueuse » (1). En revanche, l’examen du miracle a beaucoup évolué au cours des siècles, et comprend aujourd’hui un volet médical important. Pour la béatification d’un serviteur de Dieu non martyr, l’Église demande un miracle. Pour la canonisation, elle en demande un second (y compris, cette fois, dans le cas d’un martyr), survenu après la béatification. L’enquête pour le miracle est menée de manière indépendante de celle sur l’héroïcité des vertus. Dans le diocèse où a eu lieu le présumé miracle, l’évêque ouvre l’instruction concernant le fait, recueille les dépositions des témoins oculaires interrogés par un tribunal constitué à cet effet, ainsi que la documentation clinique du cas. Les médecins traitants sont entendus comme témoins. Le dossier part à Rome, il est examiné par la Congrégation des causes des saints : d’abord l’aspect « scientifique », par une assemblée médicale qui procède à l’examen du cas. La guérison, pour être considérée comme résultant d’un miracle, doit être jugée comme rapide, complète, durable et inexplicable en l’état actuel des connaissances médicoscientifiques.
Il existe aussi – mais c’est plus rare – des cas de faits prodigieux
d’ordre technique, d’événements impossibles à expliquer. Ainsi pour le
sous-marin Pacocha, qui avait coulé le 26 août 1988 à une profondeur de
quinze mètres dans les eaux péruviennes, avec une pression d’eau de 3,8
tonnes : le commandant, après avoir invoqué l’intercession de Maria
Petkovic, avait réussi à ouvrir la porte du sous-marin, ce qui était
normalement impossible, et à sauver l’équipage. Le fait avait été pris
en compte pour la béatification de cette religieuse croate en 2003. (1) Lettre aux membres de l’assemblée plénière de la Congrégation des causes des saints (24 avril 2006).
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Site du journal de la Croix La Croix du 28 avril 2007