Les premiers chrétiens

De l’annonce de la Résurrection de Jésus à la rupture avec le judaïsme au II° siècle, les disciples du Christ organisent leurs premières communautés.

À quel moment des communautés chrétiennes sont-elles apparues ?


Après la mort de Jésus, ses disciples se sont cachés à Jérusalem et aux alentours, d’autres se sont dispersés en Palestine. Mais on retrouve rapidement leur trace à Jérusalem, proclamant la Résurrection de Jésus-Christ. Une petite communauté, assez peu homogène, se crée : certains juifs sont de culture et de langue hébraïques, d’autres de langue et de culture grecques – sans compter les « gentils », non issus du judaïsme. Dès le milieu du I° siècle, les Romains perçoivent qu’un culte nouveau, extérieur au judaïsme, se diffuse dans l’Empire. Ils donnent à ses adeptes le nom de
« chrétiens » : un mot latin tiré du grec ( christos, qui a reçu l’onction, donc messie), signe d’une reconnaissance extérieure associant étroitement le nouveau groupe à la figure de son fondateur. Le mot apparaît pour la première fois à Rome, selon l’historien romain Suétone (II° siècle), ou à Antioche, d’après les Actes des Apôtres (Ac 11, 26).
L’apparition de ce nom ne signifie pas pour autant que les chrétiens constituent déjà un groupe autonome par rapport au monde juif.
«Il est difficile de parler du christianisme en tant que religion constituée et plus ou moins acceptée avant la seconde moitié du II°
siècle – dans le meilleur des cas, précise Simon Mimouni (1). Avant cette période, le christianisme se situe soit dans le judaïsme, soit hors du judaïsme, mais sans constituer une religion déliée de ses racines juives.» Après la destruction du Temple de Jérusalem en 70, le christianisme sort progressivement de cette matrice, qui se réorganise autour des pharisiens. La rupture devient effective en 135, après l’échec de la seconde insurrection menée par Bar Korba et à laquelle les disciples de Jésus ont refusé de prendre part.

Comment étaient-elles organisées ?


Le christianisme primitif ne peut se réduire à une entreprise ni à une influence unique. Il n’est pas unitaire, mais constitué de petites communautés rassemblées par un même acte de foi au Christ ressuscité. Selon Simon Mimouni, plusieurs grands courants se distinguent : les « pétriniens » se rattachent à la mission de Pierre l’ « Apôtre du Seigneur », s’exprimant en araméen et en grec, présents en Galilée puis à Antioche ; les « jacobiens » se rattachent à la mission de Jacques, le « frère du Seigneur », s’exprimant en araméen et originaire de Jérusalem ; les « pauliniens » se rattachent à la mission de Paul, s’exprimant en grec, originaires d’Antioche ; les « johanniques » s’expriment en grec et sans doute aussi en araméen, leur figure marquante est celle du « disciple bien aimé » et ils se développent en Samarie, puis en Asie mineure.
Quant à la première communauté de Jérusalem, certains historiens considèrent qu’elle fut d’abord sous l’influence de Pierre avant de passer sous celle de Jacques. Pour d’autres, il s’agit là d’une construction théologique et littéraire des Actes des Apôtres, et c’est Jacques qui en serait le fondateur. La question reste ouverte.

Comment vivaient les premiers chrétiens ?


Les indications données dans les premiers chapitres des Actes des Apôtres permettent de se faire une idée de l’existence menée par la communauté de Jérusalem, « même si elles laissent subsister de vastes zones d’ombres et si elles ont tendance à idéaliser la réalité», estime Étienne Trocmé (2). La petite communauté subsiste grâce à la mise en commun des biens. Les nouveaux membres sont admis dans le groupe des « saints », après avoir été baptisés au nom de Jésus le Messie. Les fidèles vivent dans des maisons individuelles où ils se réunissent pour « rompre le pain ».
Leurs réunions comportent un enseignement et des prières. Ces premiers chrétiens de Jérusalem fréquentent le Temple pour la prière rituelle juive. Des variations existent dans l’organisation des communautés. L’épiscopat unitaire n’apparaîtra qu’au II° siècle.

Quelles relations les communautés avaient-elles avec leur environnement immédiat ?


Les tensions avec le monde juif, lui-même constitué alors de nombreux courants, sont liées à la relativisation de la place de la Loi et du Temple par le christianisme. Ce débat traverse d’ailleurs les communautés primitives, opposant Jacques (favorable à l’imposition des observances juives aux païens recevant le baptême) à Paul (qui la refuse). Vis-à-vis du monde romain, les chrétiens furent en difficulté à partir du moment où ils ne bénéficièrent plus de la protection reconnue aux juifs. Les Romains reprochent alors aux chrétiens de refuser le culte des dieux, cet «athéisme» mettant en péril, à leurs yeux, l’unité et la paix de l’Empire. Avoir pour fondateur un crucifié, condamné par les autorités pour trouble à l’ordre public, n’était pas non plus pour leur inspirer confiance. C’est dans ce contexte que débutèrent les premières persécutions.
                                                                                                               
                                                      La Croix du 21 avril 2007                        
ÉLODIE MAUROT


(1) Histoire du christianisme, sous la direction d’Alain Corbin (Seuil, 2007).
(2) Histoire du christianisme, vol. 1:
Le Nouveau Peuple
(Desclée, 2000), ainsi que L’Enfance du christianisme,
d’Étienne Trocmé (Noésis, 1997).
 


      
LIRE AUSSI :
Le Christianisme des origines à Constantin,
de Simon Claude Mimouni et Pierre Maraval (PUF, 2006) ;
Aux origines du christianisme
(Gallimard/Le Monde de la Bible, 2000) ;
Les Premiers Temps de l’Église
(Gallimard/Le Monde de la Bible, 2004)
 

Les premiers écrits des chrétiens

> 50 : Première Épître aux Thessaloniciens, considérée par les historiens comme le plus ancien écrit chrétien qui nous soit parvenu comme tel. On y trouve, sous la plume de saint Paul, la formulation des premières confessions de la foi chrétienne.

> 59-60: période des grandes épîtres pauliniennes aux Corinthiens, aux Galates et aux Romains.

> 68-70: rédaction (à Rome?) de l’Évangile de Marc, avant la destruction du Temple de Jérusalem.

> Vers 80: rédaction de l’Evangile de Matthieu, de l’Évangile de Luc et sans doute, du même auteur que ce dernier, des Actes des Apôtres, tous postérieurs à la chute de Jérusalem.

> Vers 95 : rédaction de l’Apocalypse de Jean, en réaction aux persécutions de Néron et au développement du culte impérial. Rédaction, dans le même milieu, de l’Évangile de Jean et des épîtres johanniques. (Source : Les Premiers temps de l’Église, Gallimard/Le Monde de la Bible, 2004).

Les persécutions des premiers chrétiens


> En 64 : selon Tacite, les chrétiens de Rome sont désignés comme boucs émissaires après l’incendie de la ville, sont condamnés sur ordre de Néron pour séparatisme et « haine du genre humain» : un reproche traditionnellement adressé alors à la communauté juive.

> II° siècle : des persécutions ponctuelles et locales auront lieu ensuite sous Trajan (98­117), Hadrien (117-138) et Antonin (138-161).

> III° siècle: «La persécution d’abord ponctuelle, locale et sporadique fut systématique au milieu du III° siècle», résume l’historienne Françoise Thelamon. Dans le monde gréco-romain, les premiers chrétiens se distinguèrent surtout par leur façon de s’entraider. « La manière dont les chrétiens développèrent des structures d’entraide impressionna leurs contemporains, de l’écrivain Lucien à l’empereur Julien, en donnant au christianisme sa première visibilité, à défaut d’images et de monuments » : c’est ce que souligne aussi Marie-Françoise Baslez, qui vient de publier Les Persécutions dans l’Antiquité (Fayard, 417 p., 24 €).