« La multitude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme »


Les Actes des Apôtres décrivent la vie de la première communauté chrétienne. Ce passage est devenu l’idéal à réaliser par toutes les générations.

Qui est l’auteur des Actes des Apôtres ?

Le livre des Actes des Apôtres prend place, dans le Nouveau Testament, après les quatre Evangiles. Même s’il n’est pas signé, les spécialistes s’accordent pour dire que l’auteur du troisième Evangile, Luc, est également celui des Actes : même manière d’écrire, mêmes convictions de foi. En outre, l’introduction des Actes mentionne un ouvrage précédent du même auteur consacré à Jésus (Actes 1, 1-3). Les deux types de livres se complètent, tout en étant très différents dans le sujet et la méthode. Les Évangiles – et nettement celui de Luc – visent à décrire le temps de Jésus, son parcours de sa naissance à son « enlèvement » dans la gloire de Dieu. En contraste, les Actes des Apôtres ont pour sujet le temps de l’Église.
En faisant des Actes la suite de son Évangile, Luc suggère, de manière audacieuse, que le ministère des Apôtres prolonge celui de Jésus et présente avec lui des similitudes. Ou, plus exactement, que Jésus poursuit son œuvre par celle de ses envoyés, animés comme lui par l’Esprit Saint. Le parallélisme structurel qui existe entre les deux livres montre bien qu’ils ont pour objet la même histoire, la même réalité. Jésus a changé aux yeux des hommes, mais il poursuit la même action, assuré de la même victoire. « Le livre des Actes, centré sur l’expansion de la Parole à partir de Jérusalem où est mort Jésus jusqu’à Rome, la capitale du monde au premier siècle, est une manière pour Luc de rappeler que l’Évangile de Jésus ne doit pas rester à Jérusalem mais atteindre le monde », observe l’exégète Marc Sevin

Pourquoi Luc a-t-il écrit les Actes ?

Après Pâques, des communautés de disciples de Jésus se sont peu à peu constituées et organisées. Les Évangiles sont nés de leurs besoins: faire connaître Jésus aux chrétiens de la nouvelle génération, enseigner les Écritures, exprimer la foi chrétienne en la Résurrection de Jésus, former des responsables, mettre en place la liturgie chrétienne, établir la solidarité entre les communautés, organiser la mission. Si Luc écrit le livre des Actes, c’est selon Marc Sevin, avec deux objectifs essentiels : transmettre aux générations futures l’expérience de l’Église primitive (en en donnant sa propre interprétation), et proposer un modèle de communauté à la troisième génération de chrétiens, qui donne des signes de lassitude et connaît des tensions internes, notamment entre riches et pauvres.

Quelle est, dans ce contexte, la portée de ce passage ?

Dans de courts passages, appelés « sommaires » parce qu’ils donnent en quelques mots une vision d’ensemble, Luc décrit ce que devrait être la communauté modèle des chrétiens. « Ces sommaires, explique Marc Sevin, sont vraisemblablement l’écho de la vitalité des toutes premières communautés, dynamisées par l’expérience de Pâques et qui espéraient la venue de Jésus en gloire pour bientôt. Cette venue se faisant attendre, l’exaltation du départ s’est émoussée. Il fallait redonner courage à la communauté et lui fournir des repères pour s’organiser dans la durée. »
La description de la première communauté de Jérusalem par Luc (Ac 2, 42-47) n’est pas totalement étrangère à la culture de son temps. Le thème de l’âge d’or est connu des Grecs : à l’origine, les hommes auraient ignoré la propriété privée ; le philosophe Pythagore, avec ses disciples, a tenté de vivre de cette façon ; dans la littérature grecque, des expressions comme « Entre amis, tout est commun » et « L’amitié, c’est l’égalité » ne sont pas rares. Du côté juif, les esséniens vivant en communauté pratiquaient la mise en commun des biens : « C’est une loi que ceux qui entrent dans la secte fassent abandon de leurs biens à l’ordre », écrit l’historien juif Flavius Josèphe ( Guerre des Juifs, livre II, 122). C’était le cas à Qumrân : selon la règle de la communauté (VI, 13-23), si le candidat réussit l’examen au terme de la deuxième année, il était inscrit « régulièrement à son rang, parmi ses frères, pour ce qui a trait à la Loi, au droit, à la Purification et au mélange des biens ». C’est aussi le cas des
« thérapeutes » dont parle le philosophe juif Philon d’Alexandrie, contemporain de Jésus.
Malgré ces résonances avec la culture de son époque, Luc présente quelque chose de nouveau. La première description qu’il donne du petit groupe rassemblé à la suite du discours de Pierre le jour de la Pentecôte tient en une phrase (Ac 2, 42). Luc invite à persévérer dans l’approfondissement de la foi, la communion fraternelle concrète et la liturgie, en particulier l’eucharistie. Un peu plus loin (Ac 4, 32-35), il précise à nouveau comment se faisait le partage des ressources, de façon à ne laisser personne
dans le besoin, et insiste sur le fondement de cette pratique : la foi commune en une vie nouvelle dans le Ressuscité, et la fraternité qui en découle.

Comment les chrétiens se sont-ils efforcés de mettre en œuvre cet idéal ?

La communauté primitive mise en scène par Luc dans les Actes des Apôtres est devenue la mesure et le critère de toute communauté chrétienne. Quand saint Augustin, par exemple, justifie la vie commune, c’est à cette communauté primitive qu’il se réfère. Mais cet idéal évangélique a bien d’autres lieux de réalisation que les monastères. Chaque génération chrétienne a cherché à vivre la communion comme manière d’exister ensemble dans le monde, et à réinventer les formes économiques concrètes de la fraternité.
                  
                           La Croix du 15 décembre 2007                                                                                             
MARTINE DE SAUTO

ó « Ce qui est au cœur de ce texte, c’est Jésus vivant »

« L’idée centrale de ce texte me paraît être que Jésus Christ est au centre de la réalité et pas à ses limites. Pourtant, ce n’est généralement pas notre premier sentiment à la lecture de ce texte. Notre première réaction, c’est la culpabilisation ; c’est de nous dire que nous ne sommes pas, individuellement et collectivement, à la hauteur de cette communauté exceptionnelle. Mais il faut lire la phrase qui suit : « Une grande puissance marquait le témoignage rendu par les Apôtres à la résurrection du Seigneur Jésus et une grande grâce était à l’œuvre chez eux tous » (v. 33). Ce qui est au cœur de ce texte, ce n’est pas nous et nos communautés : c’est Jésus Christ vivant et présent au centre de nos vies. C’est ce que nous essayons de vivre au foyer de Grenelle. Mettre Jésus Christ au centre, cela ne veut pas dire en parler tout le temps, mais qu’il soit présent dans notre regard, nos manières de faire du soutien scolaire, d’accueillir les sans-abri, dans nos braderies et nos fêtes… »

Laurent Schlumberger, pasteur réformé, au foyer de Grenelle (Paris 15e
) de la Mission évangélique populaire (1)
(1) Organisée en communautés, la Mission évangélique populaire de France anime des lieux de vie dans l’esprit du christianisme social (lire La Croix du 28 novembre).
ó C’est l’humanité entière qui doit être sauvée »

« La communauté est rassemblée sous le signe de l’Esprit. Or, ce qui a rompu cette unité de cœur, de confiance et de prière, c’est justement l’introduction du Filioque dans le Credo : ce qui nous divise, c’est justement ce qui porte l’esprit d’unité au sein de la Trinité ! Cet Esprit, qui a été donné à la Pentecôte et que chaque Apôtre reçoit, est unique. En même temps, chaque Apôtre reçoit sa propre flamme : cette personnalisation de l’Esprit Saint montre donc que la diversité est une chose normale entre catholiques et orthodoxes.
Dans nos Églises, on pense souvent à notre propre salut, sans s’intéresser à celui des “hérétiques” ou des “païens”. Saint Silouane de l’Athos (1866-1938) nous apprend au contraire à penser à l’humanité entière : “L’homme qui porte en lui le Saint-Esprit, même si ce n’est pas en plénitude, souffre pour tous les hommes jour et nuit.” C’est aussi ce que disait sainte Thérèse de Lisieux qui invitait à s’asseoir, comme Jésus, à la table des pécheurs. Quand on parle de mondialisation, de l’humanité dans son ensemble, ces deux grands saints de l’époque moderne nous rappellent que c’est l’humanité entière qui doit être sauvée. »

P. Michel Evdokimov Responsable du dialogue interconfessionnel pour l’Assemblée des évêques orthodoxes de France
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