Eglise et engagement politique

 
L’Église reconnaît volontiers la légitimité des catholiques à intervenir dans le champ politique, dans le cadre des droits et devoirs qui incombent à chaque citoyen


Que dit l’Église catholique de la politique ?

On a coutume d’analyser les rapports entre Église et pouvoir politique à partir de la célèbre formule de Jésus, interrogé sur la nécessité ou non de payer l’impôt :
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »
(Mt 22, 21). De celle-ci découlent en effet deux conséquences : les chrétiens ne peuvent en aucun cas invoquer un prétexte religieux pour se défausser de leurs responsabilités de citoyens. D’ailleurs, dans sa Seconde Lettre aux Thessaloniciens, saint Paul ajoute : « Celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas non plus » – autrement dit : celui qui ne participe pas au bien de la cité n’a pas le droit d’en profiter. En même temps, « rendre à Dieu » ce qui lui appartient signifie que Dieu ne peut être inféodé au pouvoir politique. « Si par autonomie du temporel , on veut dire que les choses créées ne dépendent pas de Dieu et que l’homme peut en disposer sans référence au Créateur » , on se trompe, prévient la constitution pastorale Gaudium et spes
de Vatican II (1965).

Pourquoi l’Église intervient-elle dans ce domaine ?

Comme le souligne Gaudium et spes , « la mission propre que le Christ a confiée à son Église n’est d’ordre ni politique, ni économique ou social : le but qu’il lui a assigné est d’ordre religieux. Mais, de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi divine. » Autrement dit, et comme le rappelle avec force la Commission sociale de l’épiscopat français dans son texte Réhabiliter la politique (1999), « en France, nous vivons dans une société laïque. Cette situation n’implique nullement que la dimension religieuse et la dimension éthique soient écartées de l’espace public. Les catholiques participent comme tous les citoyens aux débats politiques. Il est légitime qu’ils prennent la parole pour défendre leurs propres convictions chrétiennes, dans le respect de celles des autres. » L’objectif étant de participer à la « construction d’un monde plus digne de l’homme, fils de Dieu » .
 
Quels sont les devoirs « politiques » des chrétiens ?

«Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute institution humaine.
(…) Agissez en hommes libres, non pas en hommes qui font de la liberté un voile sur leur malice, mais en serviteurs de Dieu », recommande saint Paul. En tant que citoyens, les chrétiens sont donc, comme les autres, soumis aux autorités légitimes et doivent, comme les autres, contribuer avec les pouvoirs civils au « bien commun ». Selon le Catéchisme de l’Église catholique , « la soumission à l’autorité et la coresponsabilité du bien commun exigent moralement le paiement des impôts, l’exercice du droit de vote, et la défense du pays » .
En 1988, dans son exhortation apostolique Christifideles laici , Jean-Paul II l’a réaffirmé : les laïcs «ne peuvent absolument pas renoncer à la participation à la politique, à savoir l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle qui a pour but de promouvoir (…) l e bien commun » . Au-delà du simple vote, les chrétiens sont vivement incités à s’engager en politique. « C’est à tous les chrétiens que nous adressons de nouveau et de façon pressante, un appel à l’action » (lettre Octogesima adve­niens de Paul VI au cardinal Roy sur la responsabilité politique des chrétiens). La politique « est une activité noble et difficile, ont aussi souligné les évêques de France en 1999. Les hommes et les femmes qui s’y engagent, ainsi que tous ceux et celles qui veulent contribuer au “vivre ensemble” méritent notre encouragement. »

Que faire en cas de conflit de conscience ?

« Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Évangile »
, note le Catéchisme de l’Église catholique . Ce refus d’obéissance est également reconnu par Gaudium et spes . Il est toutefois soumis à la réalisation de cinq conditions cumulatives : en cas de « violations certaines, graves et prolongées des droits fondamentaux » , « après avoir épuisé tous les autres recours» , «sans provoquer des désordres pires » , « qu’il y ait un espoir fondé de réussite » et enfin « s’il est impossible de prévoir raisonnablement des solutions meilleures » .

L’Église donne-t-elle des consignes de vote ?

Évidemment non. « L’Église respecte et promeut la liberté politique et la responsabilité des citoyens » ( Gaudium et spes ). « Soyons clairs. Nous n’avons pas à dire pour quel candidat voter» , déclarait tout net le cardinal Jean-Pierre Ricard, président de la Conférence des évêques, à l’approche de l’élection présidentielle de 2007. « Chacun vote selon sa conscience. Mais cette conscience doit être éclairée par une réflexion et un discernement préalables. Comme tout citoyen, un catholique devra se poser les questions suivantes : vu l’analyse de la situation de la France, quel est le programme politique qui correspond le mieux à la politique à promouvoir ? Ce programme est-il réaliste ? Le candidat ou la candidate qui le promeut semble-t-il avoir les qualités qui correspondent à ce qu’on attend d’un président de la République ? » C’est d’ailleurs pour « aider à un tel discernement » que l’Église a développé, rappelle le cardinal Ricard, «une pensée sociale, appelée aussi “doctrine sociale de l’Église” » . C’est à sa lumière qu’individuellement ou collectivement, les évêques prennent parfois la plume – mais toujours avec prudence – en période préélectorale…
                                                                                                     ANNE-BÉNÉDICTE HOFFNER

Paroles des évêques de France

Déclarations de l’épiscopat français

>  Pour une pratique chrétienne de la politique , Assemblée plénière des évêques 1972.
> Politique: affaire de tous , Commission sociale des évêques de France, 1991.
> Lettre aux catholiques de France , Assemblée plénière des évêques, 1996.
Réhabiliter la politique , Commission sociale de l’épiscopat, 1999. Les municipales : une chance pour la démocratie , Commission sociale de l’épiscopat, en vue des élections municipales, 2001.
Discerner les valeurs fondatrices de la démocratie , communiqué de Mgr Jean-Pierre Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la CEF, après le premier tour de l’élection présidentielle de 2002.
Qu’as-tu fait de ton frère ? Message du Conseil permanent de la CEF à l’occasion des élections présidentielle et législatives de 2007.

Déclarations d’évêques pour les élections municipales 2008

> « À propos des élections municipales… », déclaration du 9 janvier 2008, signée par Mgr Jean Legrez (Saint-Claude), Mgr Claude Schockert (Belfort-Montbéliard) et Mgr André Lacrampe (Besançon), et reprise à son compte le 1er février par Mgr Pierre Raffin (Metz) :
« Nous invitons évidemment tous les électeurs à prendre part au vote et à s’exprimer en étant conscients de leurs responsabilités à l’égard du présent et de l’avenir de leur commune, mais sans oublier non plus le reste du monde.
(…) Nous tenons enfin à encourager ceux et celles qui élaborent projets et priorités, qui acceptent des charges municipales, souvent de plus en plus lourdes, Ils doivent pouvoir compter sur notre soutien, au-delà du jour du scrutin, dans l’exercice de la charge qui leur sera éventuellement confiée. »
« Habitants des Alpes-de-Haute-Provence », texte de Mgr François-Xavier Loizeau (Digne), du 30 janvier 2008 : « Notre vote ne peut être une démarche de consommateur, où nous élirions des personnes chargées de nous rendre des services pour nos intérêts personnels ou nous obtenir des passe-droits. Notre vote est un acte de solidarité. »
« Les municipales, mode d’emploi », éditorial de Mgr Olivier de Berranger (Saint-Denis) : « Il y a belle lurette que la question d’un “vote catholique” ne se pose pas, sinon dans les sondages. Chacun est renvoyé à son jugement de la situation, aux solidarités qu’il estime prioritaires, à l’évaluation qu’il fait de la gestion des sortants, etc. (…) Nous, chrétiens, sommes à l’aise dans les associations et nous y apportons notre part. Il est important que nous cherchions aussi à comprendre comment fonctionne une commune (ou une union de communes) et que nous y soyons présents à notre mesure. »

        Site du journal de la Croix                                                                                             La Croix du 1 mars 2008