L’ERMITAGE Ste MARIE-MADELEINE DE STEINBACH
A partir du VIIème
siècle, le paganisme recula en Alsace avec l’arrivée de moines
évangélisateurs. Dès le XIIème siècle, l’Alsace connaissait
une grande vitalité religieuse que n’entamèrent ni les guerres ni les
épidémies ni les tentatives de réformes dans les siècles qui suivirent.
Eglises, chapelles et oratoires proliféraient, ainsi que les ermitages,
le calme et la solitude de nos régions boisées attirant des religieux
désirant vivre seuls, loin du monde .
L’ermitage Ste
Marie-Madeleine de Steinbach, aussi connu sous le nom de « Ermitage Zu
Rhein ou Zueren » figure parmi la cinquantaine d’ermitages recensés en
Haute Alsace (1). Il est situé à la limite des bans de Steinbach et de
Vieux-Thann, dans le Bruderthal ( vallée de l’ermite), vallon encaissé
entre l’Amselkopf et le Herrenstuben, et dans le périmètre minier.
Si l’on retrouve
des mentions de la chapelle Ste Marie-Magdelaine dans le Liber Marcarum
(1441), dans une charte de Sigismund, duc d’Autriche (1471), dans l’urbaire
de Cernay (1580) ainsi que sur la carte de Cassini ( 2ème
moitié du XVIIIème siècle) sous la désignation « Herm de la
Magdelaine » (2) , c’est surtout grâce aux litiges qui, dans les années
1750, opposèrent l’ermite de Steinbach à la commune de Steinbach, que
nous pouvons nous faire une idée assez précise de l’ermitage Ste
Marie-Madeleine au 18ème siècle.
Depuis la fin du
Moyen-Age, certains ermites menaient une vie bien différente de celle,
pleine d’abnégation, de leurs prédécesseurs et il n’était pas rare que
des préoccupations matérielles interfèrent avec les préoccupations
spirituelles. Johann Bressler, l’ermite de Steinbach , contestait à des
pâtres le droit de se servir d’un chemin longeant la chapelle pour
amener leurs troupeaux aux prés communaux et de faire paître leurs
moutons trop près de la chapelle.* D’autre part, il revendiquait des
droits sur un terrain proche de la chapelle.(3) Ce conflit , qui dura
plusieurs années, donna lieu à des échanges de lettres ainsi qu’à
l’établissement d’un plan, Johann Bressler voulant que ses terres soient
délimitées de façon précise.(4)
Ce plan, peint en couleurs sur
parchemin, décrit l’ermitage :
-Le terrain en son entier, aborné
par 8 pierres (portant les lettres de A à H ) occupe une surface de
1023 verges.**
Du nord au sud, on découvre
-un verger rectangulaire, clos,
entouré de murets ( ou de haies )
-une cour dans laquelle s’élevait
une grande croix ( à droite) -la chapelle, surmontée d’un
clocheton, et l’habitation de l’ermite -le « jardinet » , rectangulaire,
de 72 verges, divisé en 6 parcelles De la cour de l’ermitage partaient 2
chemins : l’un menait à Steinbach, à travers la forêt ; l’autre, qui
longeait l’ermitage et menait à Thann, était « une espèce de fossé qui
reçoit les eaux du ciel » et le long duquel circulaient gens et
bêtes.(5)
La chapelle et l’ermitage étaient
entourés d’une épaisse forêt , composée de feuillus et de sapins. Aux
alentours immédiats s’étendaient les prés communaux qui formaient une
sorte de clairière.
A courte distance, au nord du
verger, se trouvait la source St Antoine ( encore visible).
* A noter que Ste Marie-Madeleine, qui représente l’amour dans le
silence dans le culte des Saints, était traditionnellement invoquée
contre les orages, la foudre, la
grêle et les intempéries mettant en danger cultures et troupeaux. **
verge : ancienne mesure agraire : quart d’un arpent. Arpent, ancienne
mesure agraire valant 100 perches, de 20 à 50 ares (Petit Robert)
Seuls les noms des 3
derniers ermites nous sont connus. Un frère Joseph vécut au moins 25 ans
dans cet ermitage avant Johann Bressler qui y vécut de 1707 à la fin des
années 1750. Lui succéda frère André qui donna son nom à une portion de
sentier menant de l’ermitage au Amselkopf : Andrespfad. (2)
L’inventaire de la
succession de l’ermite d’Uffholtz (6) décrit les biens meubles qu’il
possédait, au XVIIIème siècle, et nous permet d’imaginer la
vie de l’ermite de Steinbach. Une vie de prières et de méditation mais
aussi de travail : l’ermite défrichait ses terres, cultivait fruits et
légumes ( on sait qu’il avait des cerisiers), élevait des abeilles,
cueillait des plantes médicinales pour soigner les villageois qui
venaient de Steinbach ou Thann pour prier avec lui et lui apportaient
des dons. Il entretenait la chapelle et sa maisonnette et chassait. Les
ermites avaient en effet le droit de détenir une arme, non seulement
pour chasser mais aussi pour se protéger contre d’éventuelles
agressions.(7) On dit que l’un des ermites de Steinbach mourut
assassiné.
Frère André, le dernier ermite, dut
quitter l’ermitage pendant la Révolution.
En mai 1794, la
chapelle et la maisonnette de l’ermite furent vendues comme bien
national, pour 215 livres, à Thiebaut Macker, avec autorisation de
démolition.(2)
Le site servit
probablement de carrière pour les habitants des environs puis d’abri aux
soldats lors des violents combats de 14-18, cette zone se trouvant à
proximité de la ligne de front.
Puis la nature
reprit le dessus : orties, lierre et ronces recouvrirent les ruines ne
laissant deviner qu’un monticule. La dernière mention de l’ermitage sur
une carte forestière date de 1878. Le site figure avec la mention « non
localisé » sur la carte archéologique de la commune de Steinbach.
Seuls quelques
tessons de poterie dans le lit du ruisseau proche de l’ermitage ou
tuiles cassées pouvaient éveiller la curiosité et l’intérêt du promeneur
attentif.
C’est ainsi qu’en
1998 M.Bevilacqua, président de la Société d’Histoire et d’Archéologie
de Cernay et Environs, et M.Brocard, agent ONF de la Communauté de
Communes de Cernay et Environs, décelèrent le pierrier rectangulaire. A
l’instigation de membres du Conseil Municipal de Steinbach, il fut
envisagé de débroussailler la zone et de localiser la chapelle et
l’habitation de l’ermite.
Du 17 au 21 juillet
2006, M.Bevilacqua dirigea un chantier jeunes auquel participèrent 4
étudiants, rémunérés par la ville de Cernay, ainsi que plusieurs
bénévoles de la Société d’Histoire de Cernay, un géomètre, M. Levasseur,
et moi-même.
Après avoir débarrassé le monticule
des orties et broussailles qui le recouvraient, nous avons dégagé en
partie les fondations de la chapelle
De dimensions
modestes et de plan basilical, celle ci est orientée nord-sud ( et non
vers l’est selon la règle) . La nef mesure environ 7,50 m de long sur
4,50 m de large (dimensions très proches de celles de la chapelle de
l’ermitage de Bergheim) . L’épaisseur moyenne des murs est de 80 cm .
Une stratigraphie
transversale nous permet de lire au moins deux niveaux d’occupation ; le
niveau inférieur correspond à une couche d’incendie régulière, formée de
gravats, de tuiles et de briques cassées.
L’habitat de l’ermite, probablement
recouvert par l’actuel chemin forestier, n’a pu être localisé avec
précision.
A proximité , nous
avons pu repérer le chemin d’accès vers Steinbach, retrouver de nombreux
tessons (poterie culinaire, verre ) dans le lit du ruisseau ainsi que
sur le versant ouest du vallon et découvrir des vestiges de la guerre
14-18 : balles, éclats d’obus…
Du fait de
l’importance de ces découvertes, la poursuite des fouilles ne pourra
désormais s’effectuer que sous la conduite d’un archéologue mandaté. Une
note a été transmise au SRA de Strasbourg à cet effet.
Tous les
participants au chantier de l’été 2006 ( ainsi que tous les visiteurs
qui l’ont découvert), ont été captivés par le site et le décor et ne
souhaitent qu’une chose : pouvoir poursuivre les recherches, valoriser
le site, en l’inscrivant par exemple dans un circuit touristique
pédestre et, ultérieurement, renseigner le promeneur grâce à un panneau
d’information.
Mais pour cela, il nous faut
absolument obtenir le concours d’un archéologue agréé…..
Christine Agnel
Bibliographie
(1)J.Levy . Brochure consacrée aux
ermitages d’autrefois en Alsace .Article de l’Alsace du 13/08/1971 (2) G.Claerr-Stamm : Regards sur
l’Histoire de Cernay ( 1983) (3) J.Bauman : Als
das « Glöcklein des Eremiten im Bruderthal ertönte“ , Mulhauser
Tagblatt 1942 (4) Plan et parchemins sont
conservés aux Archives Départementales de Colmar. FF14 (5)J.Depierre : Cernay, son passé,
son présent ( 1907) (6)D.Ingold : Un Rixheimois, ermite
de St Antoine à Uffholtz au 18ème siècle (7)A.Schwein : Le Bruderhaus de
Bergheim : notes historiques et archéologiques
Autres articles parus sur l’Ermitage
E.Job : L’Ermitage disparu ,
article de L’Alsace du 20/06/1999 D.Py : Vestiges d’un Ermitage ,
article de L’Alsace du 11/05/2004
La chapelle Sainte-Marie Madeleine dévoile
ses vestiges
Pour la deuxième fois depuis
2006, un groupe de jeunes intervient sur les
vestiges de la chapelle de l’ancien ermitage de
Sainte-Marie-Madeleine, entre le Molkenrain,
Steinbach et Vieux-Thann.
Les vestiges de la chapelle, édifiée vers le 14e
siècle dans le vallon du Brudertal, avaient déjà
connu un défrichage et une mise au jour de quelques
murs significatifs. Un nouveau chantier vient de
débuter et il s’achèvera le 11 juillet.
C’est sa passion pour l’histoire qui a poussé
Christine Agnel, adjointe au maire de Steinbach, et
Jean-Paul Bevilacqua, président de la Société
d’histoire de Cernay, à prendre l’initiative de ce
chantier. La Ville de Cernay a trouvé le financement
de l’opération et offre la logistique des travaux.
Quatre jeunes volontaires, du canton de Cernay,
participent aux fouilles.
Fondations dégagées
Les travaux de dégagement de terre s’arrêtent au
niveau du sol : aucune autre forme de creusement
n’est réalisée par l’équipe sur place. L’ONF a
débroussaillé les environs, pour un meilleur confort
de travail. Depuis quelques jours, les fondations de l’édifice
ont été dégagées.
La chapelle présente très
nettement une forme abbatiale. Les murs ont une
épaisseur de 60 cm. Le chœur, bien visible, est
situé au sud, il est large de trois mètres. La nef
présente plus d’espace : elle a une largeur de 5 m
et c’est sur son côté nord que le portail d’entrée
est recherché.
La ruine présente, du sud au nord, une longueur
intérieure de 8 m. Le sol présente plusieurs
configurations : on y observe de la rocaille, par
endroits une forme de mortier, ainsi que des briques
anciennes, en forme de dallage, côté chœur. Sur les
murs, on aperçoit les traces blanches de la chaux
qui devait revêtir les murs. Côté ouest, l’équipe
recherche les traces de la
maisonnette qui abritait
les frères.
Une troisième tranche
Jean-Paul Bevilacqua et Christine Agnel assurent
qu’il y aura une troisième tranche de travaux. Les
fouilles vont être complétées et les objets trouvés
seront recensés. Lorsque le plus gros du travail
sera terminé, la chapelle sera reconstituée, avec
quelques colonnes verticales surmontées d’un toit de
bois.
Un panneau, financé par le Lions club de
Thann-Cernay (400 €), permettra aux promeneurs de
découvrir sur place le plan dessiné en 1750. En
outre, « L’endroit sera recensé sur les documents
touristiques », assure Christine Agnel
L'Alsace
du 9.7.2008
Dominique Py
Ermitage Sainte Marie-Madeleine:
le panneau inauguré
À travers la cime des grands arbres, l’astre du jour éclaire le lieu-dit
Zu-Rhein ou plus exactement le vallon bien nommé du Bruderthal (vallée de
l’ermite). Désormais l’endroit, grâce au panneau explicatif érigé par le Lions
club, est visible suite à la persévérance déployée durant plusieurs années par
les membres de la Société d’histoire et d’archéologie de Cernay et environs et
la commission patrimoine de Steinbach.
Auparavant, il n’y avait rien sur ce lieu perdu situé quelque part sur le ban
de Steinbach et la forêt communale de Cernay. Un tapis de ronces camouflait des
vies disparues. On connaissait pourtant l’existence d’une chapelle mentionnée
dès 1441 dans le Liber Marcarum qui recense les paroisses et les bénéfices du
diocèse de Bâle, mais en 1794, l’ermitage Sainte Marie-Madeleine sera vendu
comme bien national et ses bâtiments démantelés. C’est bien plus tard, en 1998,
que Jean-Paul Bevilacqua, président de la Société d‘histoire de Cernay, aidé par
Marc Brocard, de l’ONF, a pu localiser la ruine. Après cette découverte, des
chantiers de jeunes seront engagés en 2006, 2008 et 2012 pour dégager les dalles
de la chapelle, la maison de l’ermite et les annexes du site (verger, potager…).
Conseillés par les archéologues du PAIR (Pôle archéologique interdépartemental
rhénan), de nombreux bénévoles ont déblayé le terrain, notamment ceux désignés
affectueusement sous l’appellation « pelleteurs fous d’Eguisheim » en raison de
leur fougue déployée durant les opérations.
Intégrer le lieu dans les circuits touristiques
Dans la foulée, Christine Agnel, cheville ouvrière de la commission
patrimoine, entreprend des recherches aux archives de Colmar. Elle découvre un
plan sur parchemin daté en 1750. « Il représente la chapelle surmontée d’un
clocheton, l’habitation de l’ermite, le verger clos en amont et le potager
divisé en six parcelles en aval.»
De la cour de l’ermitage partent deux chemins, l’un vers Steinbach à travers
la forêt et l’autre vers Vieux-Thann. Le terrain, d’une superficie d’environ
deux hectares, est aborné par huit pierres, portant les lettres A à H. « L
’une de ces pierres a été retrouvée mais la lettre avait disparu »,
explique l’adjointe au maire de Steinbach.
Durant l’inauguration, des reproductions de ce précieux document ont été
distribués aux invités. Il correspond parfaitement aux mises au jour effectuées
sur le terrain. « Que faire du lieu ? » s’interroge Alain Bohrer,
adjoint au maire de Cernay. Recouvrir les pierres sèches pour prévenir l’érosion
? Consolider les parties hautes ? Dans tous les cas, il faut faire ressurgir le
passé en intégrant l’ermitage dans les circuits touristiques des offices de
tourisme et du Club vosgien. Le site est proche de la Waldkapelle, de la stèle
Anatole-Jacquot et des mines du Silberthal. C’est la meilleure manière de
découvrir une montagne chargée d’histoire !
Éclairage sur la vie d’un ermite
Les ruines de l’ermitage Sainte Marie-Madeleine de Steinbach apportent un
nouvel éclairage sur un monde disparu. C’est ici, non loin des anciennes mines
d’argent, que gisent les vestiges d’une chapelle et d’une maison, celle de
Johann Bressler, le dernier ermite du lieu, juste avant la Révolution.
Christine Agnel, de la commission patrimoine de Steinbach, explique la vie
d’un ermite au XVIIIe siècle. L’ermitage était
alors bordé de prés communaux. En y amenant leurs troupeaux, les pâtres de Steinbach
longeaient de trop près la chapelle. C’est pourquoi, en 1750, frère
Jean exige que ses terres soient délimitées de façon précise. La procédure dura
des années, donnant lieu à un échange de lettres et à
l’établissement d’un plan peint sur parchemin. C’est
ainsi que l’on peut s’imaginer la vie d’un ermite :
prière et méditation mais aussi travail. Outre
l’entretien de la chapelle, il
défriche ses terres, cultive fruits et légumes, élève des abeilles et cueille
des plante »s médicinales. Une chronique précise que « frère Jean était très
aimé de tous à cause des soins qu'il donnait. »
Il faut imaginer la forêt alors fréquentée par des pâtres et leurs troupeaux,
des mineurs travaillant dans le secteur, des villageois à la recherche de bois
ou se rendant vers l’ermitage. Celui-ci demeurait cependant isolé, ce qui
pouvait être dangereux. On dit que l’un des ermites mourut assassiné. Les
annales des pères franciscains du couvent Saint-Jacques-le-Majeur de Thann
relatent que le 9 novembre 1769, deux couples de Thannois agressèrent
sauvagement frère Jean, lui volant tout son argent, s’enivrant de son vin et
détruisant ce qu’ils ne pouvaient emporter. Avant de partir, « les quatre
énergumènes battirent le malheureux ermite, lui ordonnant de ne pas les trahir
s’il voulait rester en vie ». Le lendemain, l’ermite d’Uffholtz, qui avait
appris la nouvelle, vint secourir frère Jean, alors entre la vie et la mort. Les
agresseurs furent dénoncés et arrêtés. « Les deux hommes subirent la torture
ordinaire et extraordinaire sans rien avouer tandis que les deux femmes y
échappaient en affirmant être enceintes… Finalement les deux hommes furent
chacun condamnés à 101 ans de galère, une des femmes à 101 ans de maison de
correction à Strasbourg et l’autre femme à trente ans de la même peine»
En 1769, frère André succéda à frère Jean. Cet ermite donna son nom à une
portion du sentier menant de l’ermitage à l’Amselkopf où il allait herboriser.
Il s’agit de l’Andrespfad. Frère André dut quitter l’ermitage au moment de la
Révolution. En 1794, la chapelle et la maisonnette furent vendues comme bien
national, avec autorisation de démolition. Pendant la Grande Guerre, cette zone
se trouvait à proximité de la ligne de front. De nombreuses douilles et éclats
d’obus ont été retrouvés dans les ruines et alentour. Puis, peu à peu,
l’ermitage sombra dans l’oubli. Orties et ronces recouvrirent les ruines jusqu’à
les rendre invisibles, ne laissant deviner qu’un simple monticule.
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