Souvenirs
des derniers mois de la guerre 1939-45.
Témoignage écrit le 4 février 1995 par Mme
Flury, à l'occasion du 50° anniversaire de
la libération de Cernay. Fin novembre ou début décembre 1944
nous avons emménagé dans la cave ( quand le
1° obus lors d'une salve est tombé sur la
grange Bechelen ( à présent la ferme Jenn).
Il y avait des obus qui tombaient depuis un certain temps mais pas si près
de chez nous. Ces obus provenaient de canons
français stationnés sur les hauteurs des
environs de Guewenheim
( de M Ulrich, alors
directeur d'école à Guewenheim) car nous
étions occupés par les Allemands. Lits dans la cave et nous vivions dans la
buanderie. Nos voisins Keppler étaient venus
chez nous, notre cave étant plus solide. Les
beaux livres, les lustres, la belle
vaisselle, l'argenterie, quelques habits
chauds, linge etc. étaient rangés dans la
cave ( sur la Hurt) Les beaux meubles démontés et le tout couché
par terre dans leurs chambres respectives et
recouverts de couvertures ou de draps. -
Hélas tout cela pour rien! Tout a été
détruit ou gravement endommagé. - Les tirs
devenant plus fréquents et toujours dans
notre coin, les fenêtres des caves, de la
buanderie et la porte ont été obstruées par
des planches et protégées par des sacs de
sable. Nous n'avions ni eau, ni électricité,
ni chauffage: l'eau au puits, chandelles
jusqu'à leur épuisement, puis mèche sur
l'huile. La lessiveuse était transformée en
chauffage et cuisinière. A des moments d'accalmie, Mme Keppler et moi
courrions le long des maisons en ville pour
essayer d'avoir du pain et quelques
provisions. Au retour, arrêt chez les Wirtz
pour voir ce qu'ils devenaient. Bientôt ( je ne sais plus quand, ni combien)
nous avons eu des soldats allemands chez
nous. Ils occupaient le ré de chaussée chez
nous et chez nos voisins Barthlen et " im
Luftballon" ( une baraque en bois
appartenant à Mme Scherrer) et ils étaient
le plus souvent au " Luftballon". A Noël, ils ont fêté dignement : sapin, vin
chaud, gâteaux, café et "chocolat du
Führer". Après midi ils sont venus à la cave
pour nous inviter. La peur dans l'âme à
cause des tirs nous sommes montés. Mais à
peine le temps de voir ( pas question de
rien manger) , des obus sifflaient dans
l'air. Nous sommes descendus beaucoup
plus vite que nous étions montés, mais les
soldats nous ont apporté du vin chaud, du
café, du chocolat ( des friandises que nous
ne connaissions plus). Eux étaient
fatalistes, jamais ils ne sont descendus à
la cave. Un officier SS de haut rang s'installa
chez nous ( le plus haut gradé occupait la
maison Rollin). Professeur d'université en
Allemagne, il était chargé de la
propagande. Il vivait au 1° étage et
aimait jouer de la flûte. Il se montrait
toujours très correct envers nous. Après
le départ des occupants, je retrouvai une
sacoche d'apparat qui lui appartenait,
avec une cigarette contenant du cyanure.
Sa femme le rejoignit à Steinbach, où elle
accoucha. Plus militante que son mari, "La
Trautchen" organisait des réunions au
Château Baudry, pour embrigader les jeunes
filles. Un beau matin, ils ont dû partir
précipitamment ( laissant leur linge lavé
mais gelé au puits); d'autres sont venus. La
situation empirait. Nous ne pouvions plus
nous risquer d'aller en ville. Quatre
semaine nous sommes restés dans la cave sans
aller aux provisions, sans lait, sans pain,
sans viande, sans sortir à l'air.
Aujourd'hui je me demande de quoi nous vécu
et quelle force de vivre nous avions! Un jour, un officier
( je ne sais de quel rang) est entré dans la
buanderie:" Qui le propriétaire d'ici?" Mon
mari a répondu: " Moi". " Vous êtes prévenu
qu'il y a un poste d'observation sur votre
maison (dans le grenier) et au moindre
signe que vous donnez à l'ennemi, vous serez
fusillé!" Cela devait être vers le 25
janvier. C'était encore d'autres soldats;
ils n'avaient plus le droit de quitter leurs
habits, ni d'enlever les bottes pour dormir.
Ceux qui étaient au repos pour quelques
heures (de jour ou de nuit) dormaient
maintenant dans la buanderie. Ils avaient
des mitrailleuses et posaient des mines. Ils
avaient l'air préoccupé! Un beau matin, c'était l'attaque des
Français, je pense le 26 janvier 1945 vers 7
ou 8 h du matin. Nous quatre, nous nous
sommes terrés dans le trou que mon mari avec
Keppler avait creusé dans la colline à
partir de la cave. Des tirs sans arrêt, nous
pensions étouffer par les gaz. Nous nous
sommes dit "adieu" et vers 16 h arrêt des
tirs. Nous entendons marcher au-dessus de nous
dans la maison. Je pensais 'les Français',
mon mari m'a dit: " crie: civils,
civils". J'ai crié, crié et je tremblais de
tout mon corps. ( jamais je n'oublierai
comme j'ai tremblé! Impossible de mettre le
sabot.) - "Wir sind noch da!" L'attaque
avait été repoussée et notre maison
détruite. Un allemand était caché sous
la réserve à bois avec un " Panzerfaust". Nous ne pouvions plus rester dans cette cave
et à l'abri de la nuit venue, un soldat
allemand nous a conduit dans l'abri des
écoles de Cernay en passant par le ruisseau
( pont sauté). L'avant-garde française
restait dans la maison Keppler. Nous sommes
restés peut-être 8 jours dans l'abri de
l'école, bien reçus et habitant dans la cave
avec les Vénus, portier et concierge de
l'école. Et c'était la libération. Pendant
la nuit des Allemands étaient partis! Quelle libération! Quel souvenir! Nous
sommes immédiatement retournés dans notre
maison détruite : que des tas de gravats,
cave sans porte, sans vitre, sans rien à
manger, sans électricité, sans eau, sans
gaz, sans rien. En hiver, dimanche 4 février
1945. Plus besoin d'aller chez les
Wirtz. Une bombe les a tué tous. Mon mari a
vu les cadavres (étouffés) Arrivés dans notre rue qui s'appelle
aujourd'hui ' rue de la 1° Armée', mais cette
fois " Sentier des Pèlerins", (
sentier des pèlerins parce qu'il y avait
encore des pèlerinages organisés qui
allaient à pied de la vallée de Thann à Thierenbach) nous avons croisé les soldats à
pied de la 1° Armée qui venaient de Vieux
Thann pour continuer vers Soultz et plus
loin vers le Rhin. Ils étaient aussi tristes
que nous (ou épuisés)! Nous ne pouvions que
demeurer dans la cave. Mon mari a cherché ce
qu'il trouvait pour remplacer la porte de la
buanderie et des restes de vitres qu'il a
posées dans la fenêtre de la buanderie. On
n'avait plus rien, mais les obus ne
sifflaient et ne tombaient plus. Plus de
bruit de mitrailleuses! Il ne fallait pas
s'aventurer hors du chemin à cause des
mines. (Un soldat allemand avait averti mon
mari.) Le soir ce ce même jour ( donc le 1° de la
libération) donc du 4 février- il faisait
déjà nuit, des détonations épouvantables
près de chez nous. Ce sont les Allemands
qui sont revenus et qui contre-attaquent,
pensions-nous. A nouveau la vitre, rafistolée le jour même, a sauté, la
fermeture de la buanderie est ébranlée. Nous
étions désespérés, encore une fois revivre
le pire! Mais tout devint tranquille, plus
rien, plus rien. Mon mari se risqua devant
la buanderie, mais c'était la nuit noire (
nulle part de l'éclairage). Et nous
attendons, attendons, plus rien, rien. Le matin, nous sortons pour voir. Des débris
de chars ou camions français qui dans la
nuit noire avaient quitté le chemin et sauté
sur des mines - un moteur a été projeté
devant notre buanderie, cela fait 40 m. Dans
le 7° véhicule, il y a avait un Cernéen, Mr
Schruoffenegger. C'est lui qui nous a raconté
les faits. M.Schruoffenegger de Cernay tenait
plus tard un restaurant. Nous ne pouvions pas rester dans notre
maison. Après un certain temps ( je ne ma
rappelle plus combien) la mairie de
Steinbach nous a logé à l'école. Mon mari a
fait une dépression et sa sœur qui habitait
Ferrette l'a cherché. Je suis restée seule à Steinbach
de longues semaines avec Yvonne Bissang pour
m'occuper de tout. Sans électricité pendant
des mois. Etre tué ou survivre dans de telles
conditions? Où est le pire?
Dr Planck, président de l'amicale des anciens
des commandos d'Afrique: " Cernay fut une de
nos plus douloureuses victoires. 183 furent
tués durant les combats de Cernay."
|