La
France est représentée au Vatican depuis le XVe siècle et y dispose
toujours de certains privilèges.
Depuis quand la France a-t-elle une représentation auprès du Saint-Siège
?
Cette dignité remonte à Henri IV et témoigne, parmi d’autres, de
l’ancienneté des liens entre la France et le centre de l’Église
catholique. C’est ainsi que, élu président de la République, Nicolas
Sarkozy a acquis, de droit, un titre auquel il ne s’attendait sans doute
pas : chanoine d’honneur de la basilique du Latran. Pour manifester sa
fidélité au catholicisme, le roi de Navarre fit don au chapitre de la
cathédrale de Rome des revenus de l’abbaye de Clairac, en
Lot-et-Garonne. Depuis lors, le chef de l’État français est ainsi
chanoine d’honneur de la basilique ; tous les 13 décembre, fête de la
Sainte Luce et anniversaire de la naissance du roi gascon, une messe y
est célébrée pour « la prospérité de la nation française » .
Dans la période récente, René Coty en 1957, le général de Gaulle en
1958, Valéry Giscard d’Estaing en 1978 et Jacques Chirac en 1996 se sont
prêtés à cette cérémonie d’installation de « premier et unique
chanoine d’honneur de l’archibasilique » . On ignore encore ce que
fera Nicolas Sarkozy.
En réalité, la France est représentée auprès du Saint-Siège par une
ambassade depuis 1465, ce qui en fait la plus ancienne ambassade
permanente de France. Avec une interruption entre 1904 et 1921, du vote
de la loi de séparation entre Église et État qui provoqua une rupture
entre le Saint-Siège et la France, jusqu’au rétablissement de ces
relations grâce à un échange de lettres en 1921 (lire
La Croix du 17 avril) .
À quoi sert l’ambassade au Vatican ?
Comme toutes les représentations diplomatiques, le premier rôle de
l’ambassade de France près le Saint-Siège est d’informer et d’expliquer
:
: explication des positions françaises en matière de politique
étrangère, mais aussi, et de plus en plus, pour les enjeux de société
(loi établissant le pacs, loi sur les signes religieux à l’école…).
Inversement, elle transmet à Paris les positions du Saint-Siège,
notamment en matière de politique internationale. Il s’agit d’une
ambassade prestigieuse (du cardinal de Bernis à Jacques Maritain en
passant par Chateaubriand, maints personnages célèbres l’ont occupée),
mais assez légère en termes de structures: hors recrutement local,
l’ambassade compte six personnes , sans compter le
Centre culturel
(lire ci-dessous) . Cette ambassade peut se comparer à une
représentation auprès d’un organisme international, avec une activité
diplomatique de type multilatéral.
Le Vatican est en effet une plateforme précieuse d’information sur le
monde entier. L’Église catholique comptait, fin 2006, 2 755 diocèses, 4
109 instituts de vie consacrée, 123 mouvements de laïcs reconnus, dans
le monde entier, qui tous passent un jour ou l’autre par Rome. Il
faudrait aussi mentionner l’aspect caritatif… Cela peut permettre à
l’ambassade de France des échanges d’informations sur certaines régions,
comme en Afrique. Ou encore de jouer un rôle dans ce lieu d’enjeux
interreligieux et interculturels : ainsi, après les déclarations à
Ratisbonne, l’ambassade de France près le Saint-Siège fut
particulièrement active pour faire de la pédagogie et aplanir les
difficultés de compréhension entre les mondes musulman et catholique.
Ce lien entre l’État et l’Église reste-t-il
pertinent dans un contexte laïque ?
L’ambassade est au centre des relations entre trois entités différentes:
le Saint-Siège, l’État français et l’Église catholique de France. Ce
lien est particulièrement manifeste pour le processus de nomination des
évêques. Là encore, il s’agit de l’héritage de l’histoire. Dans la
France laïque de la séparation Église-État, la nomination des évêques de
l’Hexagone par une instance étrangère, le Saint-Siège, faisait
difficulté au gouvernement républicain. En 1921, un compromis fut trouvé
: un aide-mémoire du cardinal Gasparri précise que le gouvernement
français sera consulté sur le point de savoir « s’il avait quelque
chose à dire du point de vue politique contre les candidats aux évêchés
»
nommés par le pape. À cette règle font exception les diocèses
concordataires et le diocèse aux armées.
C’est donc l’ambassade de France qui fournit à Paris les éléments sur
les sièges épiscopaux à pourvoir et le candidat pressenti. La réponse du
Quai d’Orsay est transmise par l’intermédiaire du nonce apostolique à
Paris. Si le gouvernement ne réagit pas dans les quinze jours, le
Saint-Siège peut procéder à la publication du nom de l’élu.
En pratique, l’usage que fait le gouvernement français de cette
disposition reste très limité et il est extrêmement rare qu’il manifeste
une opposition. L’échange de lettre de 1921 n’envisage pas l’hypothèse
d’un veto. En réalité, en cas d’opposition de la France, une nomination
« en force » susciterait une crise immédiate.
À certaines périodes, les nominations ont ainsi pu donner lieu à des
frictions. Ainsi en 1947, aux lendemains de la Libération, lorsque le
chef du gouvernement, Georges Bidault, estima que l’effort du
renouvellement du corps épiscopal, qu’il jugeait largement compromis
avec Vichy, n’était pas assez important. Aujourd’hui, cette procédure de
nomination n’est qu’un des éléments du dialogue permanent qu’établit
l’ambassade avec l’Église de France. Sur certains dossiers, comme la
liturgie par exemple, elle se montre attentive aux débats qui traversent
l’Église en France, tout en restant dans le cadre strict de la laïcité.
ISABELLE DE GAULMYN
Le Centre culturel
Ø Au sortir de la Seconde
Guerre mondiale, lorsque le philosophe Jacques Maritain,
ambassadeur de France près le Saint-Siège, prend
l’initiative de doter l’ambassade d’un centre culturel, il
s’agissait pour lui de « représenter et diffuser la
pensée et la culture chrétiennes d’origine française auprès
de toutes les personnes résidant à Rome, de quelque
nationalité qu’elles soient, mais aussi faire connaître la
pensée et la culture de la France laïque auprès du clergé et
des religieux de tous pays » .
L’idée était aussi de contrebalancer les influences
germanique et italienne, importantes durant la première
moitié du XXe siècle. Cette politique portera ses fruits lors du
Concile, où l’influence de la France et de ses théologiens
sera importante. Depuis soixante ans, au cœur du vieux Rome,
le centre culturel Saint-Louis réconcilie les « deux France
», celle de la République et celle de l’Église. Il propose,
grâce à sa bibliothèque et à son auditorium, des
conférences, spectacles, expositions et des cours de
français – une action renforcée depuis la fusion avec
l’Alliance française.
Les « Pieux établissements français de
Rome et de Lorette »
Ø
Pour les juristes, c’est un casse-tête, pour les historiens
une curiosité: les «Pieux» – comme on dit à Rome –
regroupent une série d’établissements et d’immeubles acquis
au nom de la France depuis le Moyen Âge pour aider les
pèlerins français à Rome. Il s’agit aujourd’hui d’une
fondation de droit pontifical, placée sous l’administration
de l’ambassadeur de France près le Saint-Siège. Signe de son
caractère hybride : le président en est l’ambassadeur, et
l’administrateur est un ecclésiastique.
Son patrimoine n’est en rien négligeable, puisqu’en font
partie l’église Saint-Louisdes-Français, le palais qui la
jouxte (abritant une communauté de prêtres, le centre
culturel Saint-Louis des Français, et la librairie française
de Rome), les églises Saint-Nicolas des Lorrains, Saint-Yves
des Bretons et Saint-Claude des Francs-Comtois, la
chapellerie de Lorette, l’église et le couvent de la
Trinité-des-Monts, ainsi qu’un patrimoine immobilier dont
les revenus contribuent à l’entretien de ces édifices et de
leur clergé.
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Site du journal de la Croix
La Croix du 16 juin 2007 |