Pourquoi Jean-Paul II a-t-il souhaité rouvrir le « dossier Galilée » ?
Parce que «l’affaire Galilée» va bien au-delà de l’événement historique
lui-même. En effet, au fil des siècles, autour de cette condamnation,
dure, du savant de Pise par l’Église catholique, s’est cristallisée
toute la problématique des heurts entre l’Église et la modernité. Comme
l’explique le cardinal Georges Cottier, ancien théologien de la Maison
pontificale, aux « erreurs et manquements de l’Église qui ont ensuite
été éclaircis et reconnus » , est « venu se greffer, après le
siècle des Lumières, un mythe d’inspiration scientiste : l’obscurantisme
dogmatique de l’Église s’opposant au héros de la liberté de la pensée ».
Même si elle y a mis le temps, l’Église avait déjà reconnu son erreur :
en 1741, soit plus de cent ans après la sentence de 1633, Benoît XIV fit
donner par le Saint-Office l’imprimatur à l’édition des œuvres complètes
de Galilée. Et Vatican II fait amende honorable, dans une allusion
explicite : « Qu’on nous permette de déplorer certaines attitudes qui
ont existé parmi les chrétiens eux-mêmes, insuffisamment avertis de la
légitime autonomie de la science. Source de tensions et de conflits,
elles ont conduit beaucoup d’esprits jusqu’à penser que science et foi
s’opposaient » ( Gaudium et spes n. 36).
En demandant en novembre 1979 – dans les débuts de son pontificat – la
création d’une commission pour « approfondir l’examen du cas Galilée
» , Jean-Paul II surprend. Il inaugure en fait un mouvement de
repentance et de réexamen de l’histoire, qui marquera son pontificat.
D’une part, il explique que des réhabilitations implicites successives
ne suffisent pas, car « Galilée eut beaucoup à souffrir – nous ne saurions le cacher – de la
part d’hommes et d’organismes de l’Église ». Au-delà, il souhaite
« faire disparaître les défiances que cette affaire oppose encore, dans
beaucoup d’esprits, à une concorde fructueuse entre science et foi,
entre Église et monde ».
Quelles furent les conclusions de la commission ?
Elles furent rendues par le cardinal Paul Poupard, président du Conseil
pontifical de la culture et responsable de la commission d’étude du cas
Galilée. Un travail considérable a été fourni pendant plus de dix
années. Non seulement l’ensemble des documents du procès a été examiné,
mais des experts ont étudié l’état de la pensée exégétique,
philosophique et scientifique à l’époque, de façon à ne pas faire
d’anachronisme : le texte biblique n’était pas lu au XVIIe siècle avec les connaissances exégétiques actuelles !
La commission rappelle d’abord que la sentence de 1633 a un caractère
relatif : l’Église reprochait à Galilée de ne pouvoir apporter de preuve
de ce qu’il avançait. Ce qui est réel, puisque Galilée se basait sur une
série d’observations. Le cardinal Robert Bellarmin, qui a jugé
l’affaire, avait déclaré qu’aussi longtemps qu’il n’y avait pas de
preuve de l’orbitation terrestre autour du Soleil, il fallait continuer
à lire les passages bibliques comme déclarant la Terre immobile. Mais il
ajoutait que, si la preuve des affirmations coperniciennes était donnée,
alors il faudrait revoir la manière d’interpréter ces passages.
La première conclusion fut donc que tous les acteurs du procès étaient
de bonne foi, chacun dans sa logique. Mais ensuite, la commission
souligne les torts « des juges de Galilée, incapables de dissocier la foi d’une cosmologie
millénaire » et qui « crurent que la révolution copernicienne,
par ailleurs non encore définitivement prouvée, était de nature à
ébranler la tradition catholique, et qu’il était de leur devoir d’en
prohiber l’enseignement». Et cette erreur « les conduisit à une
mesure dont Galilée eut beaucoup à souffrir ».
Quels enseignements en tira l’Église ?
L’affaire pouvait être considérée depuis déjà longtemps comme classée,
l’Église ayant reconnu depuis la véracité des affirmations de Galilée.
Mais restait dans les mentalités, note alors Jean-Paul II, « le
symbole du prétendu refus par l’Église du progrès scientifique, ou bien
de l’obscurantisme dogmatique opposé à la libre recherche de la vérité »
. Par cette réhabilitation solennelle, Jean-Paul II a donc levé ce qu’il
appelle le « douloureux malentendu » et la « tragique incompréhension réciproque » . En parlant de «
l’erreur »
des théologiens, le pape reconnaît explicitement les torts commis
alors.
Il a ainsi permis de « laver de l’Église d’une tache qui a été
elle-même largement instrumentalisée » , comme le dit aujourd’hui le
cardinal Poupard. Le symbole était fort. « Ensuite, nous avons eu le
sentiment qu’une page était tournée » , se souvient le cardinal
français, aujourd’hui retraité.
Jean-Paul II, en demandant cette nouvelle enquête, souhaitait tirer des
enseignements pour aujourd’hui, afin que l’Église sache
« comment
prendre en considération une donnée scientifique nouvelle, quand elle
semble contredire des vérités de foi ». Il demande donc aux pasteurs
une « authentique audace ».
De ce point de vue, conclut le cardinal Poupard, « la question s’est
déplacée, mais elle existe toujours: de la cosmologie, qui
aujourd’hui ne pose plus questions, on est passé, après Freud et
Darwin, à la psychologie et à la biologie. Et, là encore, le
dialogue avec l’Église
ne va pas de soi »…
ISABELLE DE GAULMYN
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Heurs et malheurs du
mathématicien de Pise
Né à Pise en 1564, Galileo Galilei
enseigne les mathématiques à l’université. À 35 ans, il
décrit la chute des corps à partir d’une expérience faite du
haut de la tour de Pise. Il énonce le premier un principe de
relativité. En 1609, Galilée entreprend la construction
d’une lunette, qu’il braque vers le ciel. Partisan de
Copernic, Galilée enseigne pourtant à ses élèves la théorie
de Ptolémée (voir infographie ci-dessus).
La planète tourne autour du Soleil
Début 1610, Galilée devient « premier mathématicien du
studium de Pise et premier mathématicien et philosophe du
grand-duc de Toscane » et s’installe à Florence. Il est au
faîte de sa gloire et reçoit l’appui des astronomes du pape.
Il sera d’ailleurs invité à Rome l’année suivante. Dans le
même temps, pointant sa lunette sur Vénus, il observe des
phases comme celles de la Lune, et des variations de sa
taille apparente. Pour lui, cela ne fait aucun doute : la
planète tourne autour du Soleil, tout comme la Terre.
Les théologiens du moment jugent le système copernicien
contraire aux Écritures. Galilée s’attache alors à prouver
la compatibilité des Écritures et du système héliocentrique.
Mais en février 1616, les propositions coperniciennes sont
déclarées hérétiques. En mars de la même année, l’ouvrage
dans lequel Copernic expose ses théories est mis à l’Index,
et Galilée, prudent, ne fait plus allusion aux théories
coperniciennes.
Galilée convoqué au Saint-Office
En 1623, Urbain VIII, espoir des milieux intellectuels,
devient pape. Galilée, qui le connaît bien, tente de
réhabiliter Copernic. En 1624, il reçoit l’aval du pape pour
la rédaction d’un ouvrage contradictoire sur les différents
systèmes du monde, à condition qu’il soit parfaitement
objectif. Ce Dialogue paraît en février 1632 : Urbain
VIII, furieux, ordonne la saisie de l’ouvrage et Galilée est
convoqué au Saint-Office en septembre. Le pape n’a pas
apprécié que Galilée s’y soit livré à l’éloge des théories
coperniciennes.
Les audiences du procès débutent en avril 1633. Galilée est
accusé d’avoir enfreint l’interdit de 1616 frappant les
théories de Copernic. « Si l’Écriture ne peut errer,
écrit-il alors, certains de ses interprètes et
commentateurs le peuvent et de plusieurs façons. »
Il est jugé coupable en juin, doit abjurer ses erreurs et
est assigné à résidence. Il s’installe alors à Florence,
jusqu’à sa mort le 8 janvier 1642. |