De l’encyclique Humanæ vitæ de Paul VI en 1968 au discours de
Benoît XVI aux Bernardins en 2008, jamais les paroles et textes des
papes n’ont été aussi rapidement mis sur la place publique et bénéficié
d’une telle attention, de la part des croyants comme des non-croyants.
Paradoxalement, on peut s’interroger dans quelle mesure ce magistère est
«reçu», c’est-à-dire accepté, aujourd’hui, par les catholiques, qui
souvent s’estiment libres d’y adhérer ou non. Car l’Église catholique
n’échappe pas à la crise de l’autorité qui traverse l’ensemble des
institutions. Or, tout ce que dit la hiérarchie ecclésiale n’a pas la
même valeur, donc le même degré d’autorité. Mais comme cette parole de
l’Église est aujourd’hui directement accessible au grand public, sans
médiation, il devient de plus en plus difficile au catholique d’évaluer
son importance. Il pourra alors être tenté soit de tout rejeter, soit de
n’accepter que ce qui lui convient ou – comme on l’a vu avec la crise
intégriste – de renvoyer l’autre camp à un « magistère » d’autant plus
menaçant qu’il est mal défini.
Qu’est-ce que le magistère ?
La première chose est de bien distinguer ce qu’est le magistère et ce
qu’il n’est pas. Comme son nom l’indique, c’est un pouvoir
d’enseignement doctrinal. «Allez et enseignez à toutes les nations»
: telle est la tâche confiée par le Christ aux Apôtres. Et c’est en son
nom que l’Église reconnaît aujourd’hui ce même pouvoir aux évêques et au
pape, ainsi qu’aux personnes que ceux-ci délèguent en ce sens: prêtres,
théologiens, catéchistes… Il s’agit d’une fonction instituée au nom de
l’Église.
Ce magistère consiste d’abord à expliquer la Parole de Dieu, dans une
perspective missionnaire. Ensuite, à protéger la foi et son contenu
contre les déviances, les mauvaises interprétations. Il s’agit là d’un
rôle doctrinal. Pourquoi cet enseignement est-il nécessaire? Pourquoi ne
pas s’en tenir aux Évangiles? C’est que ces mêmes Évangiles nous sont
parvenus par la médiation de l’Église, ils ne sont pas « tombés du
ciel». Au sein de cette Église qui cherche à comprendre la Parole de
Dieu, c’est la raison d’être du magistère des évêques et du pape :
maintenir l’Église dans la pureté de la foi transmise par les Apôtres.
Quels sont les documents magistériels ?
On pourrait presque dire: tous ceux qui ne concernent pas une mesure
individuelle. Le domaine est donc vaste. Mais ces actes n’ont pas
toujours la même force, la même solennité: rien de comparable entre les
quelques phrases prononcées par le pape le dimanche à midi, lors de
l’Angélus, et une encyclique ou une note de la Congrégation pour la
doctrine de la foi. Ces quelques phrases n’en relèvent pas moins du
magistère et reprennent souvent des éléments fondamentaux de foi. Benoît
XVI exerce avec constance cette responsabilité première, ce service
d’enseignement qu’il affectionne. Mais il doit le faire comme pape:
ainsi, le livre sur Jésus écrit par Joseph Ratzinger ne relève pas du
magistère de l’évêque de Rome.
On distingue traditionnellement magistère solennel et ordinaire. Le
premier recouvre la proclamation par le pape ou le concile d’un acte
solennel, d’une doctrine à tenir en matière de foi ou de mœurs, de
manière définitive. Ainsi la proclamation de l’Immaculée Conception en
1854, ou de l’infaillibilité pontificale en 1870. Le pape doit alors se
prononcer ex cathedra , c’est-à-dire de sa chaire de successeur
de Pierre. Dans ce cadre, le pape comme le concile jouissent de
l’infaillibilité, dont on voit qu’elle est clairement réservée à
quelques cas rares et circonscrits. Le magistère ordinaire comprend tout
le reste: les actes courants du pape, mais aussi des évêques réunis en
concile ou d’évêques dans leur diocèse. Ce magistère ordinaire peut lui
aussi s’avérer très important.
Pour le pape, ces actes ont des formes diverses: au quotidien, il
exerce son magistère par voie de discours, lettres, homélies, audiences.
Ou de manière plus solennelle, par des textes ayant une portée générale
comme les encycliques ou les lettres apostoliques. Parfois, le pape
consulte les évêques sur tel point : c’est le cas des exhortations
apostoliques reprenant les conclusions d’une assemblée du Synode des
évêques. En revanche, les deux encycliques publiées à ce jour par Benoît
XVI sont très personnelles, même si la seconde partie de Deus caritas
est s’inspire d’une réflexion sur l’action caritative élaborée par
le Conseil pontifical «Cor Unum». En France, la Documentation
catholique , revue créée en 1919 par la Bonne Presse (aujourd’hui
Bayard), s’est constituée au fil des décennies comme la revue de
référence par la fiabilité des textes du pape ou du Saint-Siège, que ce
bimensuel est généralement seul au monde à publier intégralement en
français.
Peut-on contester le magistère ?
Non, dans la mesure où il est «authentique» , c’est-à-dire
qu’il procède et est exercé au nom de Jésus-Christ, le « maître
(magistère) authentique » . C’est une différence avec le
protestantisme : dans l’Église, la théorie du magistère s’est construite
au moment du concile de Trente, en réaction à la Réforme. Côté
protestant, seuls comptent le texte de l’Évangile ( « Sola Scriptura
» ) et la conscience. Côté catholique, l’institution magistérielle
exerce une médiation de la foi entre Dieu et le croyant. Mais, et c’est
essentiel, le croyant ne doit pas obéir ou adhérer comme un petit soldat
à tout cet enseignement magistériel de la même manière. Le droit
canonique établit une série de distinctions sur ce point (canons 750 et
suivants – lire ci-contre ). Et cette adhésion n’est pas à une
personne, mais à un contenu doctrinal. Sans parler de la reconnaissance
du « for interne» de chaque croyant, une zone qui engage la
responsabilité de chacun en conscience devant Dieu et ne regarde que le
fidèle, dans un dialogue singulier avec son confesseur.
ISABELLE DE GAULMYN
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Quatre degrés d’adhésion
> « L’assentiment
absolu de foi divine et catholique » ( Code de droit
canonique , canon 750)
C’est le noyau dur, le dépôt de la foi. Le fidèle doit apporter un «
assentiment absolu de foi divine et catholique », expression
ancienne qui montre que c’est la foi et la catholicité qui sont
concernées. En dehors de ces limites, on n’est plus catholique mais
hérétique. C’est le cas d’énoncés dogmatiques comme celui de la
résurrection. Entrent aussi dans ce cadre les actes du magistère
solennel (infaillibilité), qui est réservé à des conditions bien
précises (lire ci-contre) . Mais peut encore être concerné le
magistère ordinaire du pape ou d’un concile, à condition qu’il soit
universel et « manifesté par une commune adhésion des fidèles » ,
c’est-à-dire partagé par le sensus fidei de tout le peuple (
Lumen gentium n. 12).
> « La soumission
religieuse de l’intelligence et de la volonté » (c. 752)
Pour tout ce qui concerne la foi ou les mœurs, c’est-àdire la doctrine
commune de l’Église. Dans ce cadre, le fidèle ne doit pas une obéissance
absolue de foi comme plus haut, mais une « soumission religieuse de
l’intelligence et de la volonté » . L’observance extérieure ne
suffit donc pas. Par exemple, si lors d’un texte sur l’économie, le pape
critique la tendance des banques à faire du profit, ni la foi ni les
mœurs ne sont concernées. En revanche, si le même texte invite à une
attitude de partage, il y a bien un problème d’éthique. C’est dans ce
cadre qu’entrent les grands textes de Vatican II.
> « Une révérence
religieuse de l’esprit » (c. 753)
L’enseignement de l’évêque, dans son diocèse, s’il se trouve en
communion avec le pape comme authentique docteur de la foi, suppose de
la part du fidèle « une révérence religieuse de l’esprit » . Il
ne s’agit plus alors d’une soumission, mais d’une attitude de respect.
> « L’observance
» (c. 754)
Enfin, le fidèle doit « observer » les constitutions et les
décrets pris par le souverain pontife, l’évêque en son diocèse ou, dans
le cadre de l’Église universelle, les dicastères de la Curie romaine,
qui visent à exposer la doctrine et à proscrire les opinions erronées.
Là, nous sommes dans l’ordre de l’obéissance : par exemple, un
théologien ne doit plus enseigner un élément qui a été considéré comme
erroné, même si en lui-même il conservait son opinion. Cette différence
fondamentale entre adhésion intérieure et obéissance distingue l’Église
d’une institution de type sectaire. |