Ce qui est nouveau par rapport au XX° siècle, c'est la concomitance de
ces différentes évolutions ainsi que le sentiment, largement répandu,
que l'histoire des hommes touche à des limites jamais atteintes. Une
époque fondée sur une technologie triomphante et sur le dogme d'une
croissance indéfinie du P.I.B. semble s'achever sous nos yeux. C'est le
moment de rappeler le mot de Paul Valéry : « Nous autres, civilisations,
nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». En tout cas, la
situation actuelle a de quoi nous persuader que les sociétés dites
développées ont trop longtemps vécu audessus de leurs moyens, et cela
aux dépens des populations les plus démunies.
Nous voici parvenus à une croisée des chemins qu'il n'est sans doute pas
excessif de qualifier d'historique. Certes, nous ne faisons pas partie
des décideurs capables d'infléchir le cours des événements. Mais là où
nous vivons, nous pouvons faire circuler l'information, réagir et
débattre, participer à des programmes syndicaux ou associatifs. En tant
que chrétiens, nous sommes fondés à faire valoir, spécialement en ce
temps de Noël, les priorités évangéliques qui nous poussent à répondre
aux appels des blessés de la vie et des victimes de divers dénis de
justice et de dignité. La lumière qui émane de la venue de Dieu dans le
monde nous incite à choisir, parmi les chemins possibles, celui qui
préfère la lucidité aux procès d'intention, les petits gestes aux
discours creux, l'espérance au pessimisme ambiant. Appelons-le « chemin
de Bethléem » et confrontons-le à l'état du monde tel que nous le
percevons.
Le regard est d'emblée accaparé par la frénésie de consommation et de
gaspillage que la crise mondiale ne semble guère freiner. Or il faut
savoir que, dans le même temps, trois milliards de personnes vivent avec
moins de deux dollars par jour et que les habitants des pays développés,
soit 15% de la population mondiale, détiennent 80% des richesses de la
planète. Plus d'un milliard d'individus n'ont pas accès à l'eau potable,
alors que, de son côté, l'industrie agro-alimentaire manque de plus en
plus cruellement d'eau tout court. Dans ces conditions, opter pour le
chemin de Bethléem, c'est renoncer à l'opulence qui se gonfle
d'elle-même et qui rend l'homme insensible à la détresse d'autrui ;
c'est réduire son train de vie à ce qui est nécessaire et suffisant ;
c'est aussi soutenir les efforts d'une œuvre caritative ou humanitaire.
A titre d'exemple, une bonne nouvelle vient d'être annoncée : la Banque
alimentaire a augmenté ses collectes de 15% par rapport à la campagne
2007.
Un autre regard concerne tout naturellement le vaste chantier de 1a
mobilisation écologique. Au nombre des projets à la fois ambitieux et
réalistes, on doit compter, pour la France, l'opération « Grenelle de
l'Environnement », qui conjugue décisions législatives et initiatives
privées. Hélas ! beaucoup reste à faire quand on sait, par exemple, que
la biodiversité ne cesse de se rétrécir, que les déforestations sauvages
continuent en Amazonie et en Afrique subsaharienne ou encore que le
monde consomme aujourd'hui en six semaines autant de pétrole qu'il en
consommait en un an au milieu du siècle dernier. Dans ce domaine, le
chemin de Bethléem pourrait consister, entre autres, à économiser
l'énergie, à trier les déchets, à préférer la marche à pied à la
voiture, pour les petits déplacements, à soutenir l'agriculture
biologique et à refuser soi-même pesticides et autres polluants
chimiques. Aux croyants, la fête de Noël rappelle opportunément que le
Dieu qui aime les hommes au point de leur envoyer son Fils est aussi le
Créateur de l'univers qui leur a confié la gérance de son œuvre.
Le chemin de Bethléem ouvre aussi l'esprit et le cœur aux joies de la
découverte et des rencontres, à la vie intellectuelle et spirituelle, à
la méditation de la parole de Dieu, à la prière de louange et d'action
de grâce. Ce troisième regard nous oriente vers un couple de pauvres,
Joseph et Marie, qui a su accueillir l'enfant de la promesse comme un
don du ciel. Le chrétien aura d'autant plus à cœur de s'inspirer de leur
attitude que d'innombrables enfants, hommes et femmes souffrent
aujourd'hui d'un déficit alarmant d'affection, de respect, d'éducation
et de culture. En 2008, un être humain sur deux a moins de 25 ans, et
plus de 90% des enfants et adolescents vivent dans un pays en
développement. Quelque 250 millions d'enfants dans le monde sont
contraints de travailler de leurs mains. Plus d'un milliard de personnes
ne savent ni lire ni écrire. A l'heure où des esprits agnostiques
préconisent une spiritualité sans Dieu », il serait dramatique que les
chrétiens, en sacrifiant au matérialisme régnant, oublient le don que
Dieu leur fait de son Esprit d'amour, de vérité et de paix.
Chrétiens d'Occident, sommes-nous prêts à changer de mentalité et de
comportement afin d'endiguer les dérives d'un système socio-économique
en folie ? Le dépouillement de la crèche suggère un chemin de
simplicité, de partage et de fraternité qui, seul, nous habilite à faire
nôtre le chant immortel des messagers de Bethléem : Gloire à Dieu au
plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu'il aime !
Charles Wackenheim
Ami hebdo du 21.12.2008
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