Lire la Parole de Dieu


Pour tous les chrétiens, la lecture de la Bible est un porche d’entrée dans la connaissance de Dieu. Cette insistance commune n’empêche pas une diversité d’approches
Quelle est la place de la Bible chez les chrétiens ?

Toutes les Églises chrétiennes se réfèrent à Jésus-Christ tel qu’il est attesté dans l’Écriture. L’Écriture est pour eux « la norme de la foi et de l’agir, puisqu’elle est considérée dans toutes les Églises comme la Parole de Dieu inspirée par l’Esprit Saint, et qui ne peut être comprise de façon juste qu’en Lui » , souligne le théologien Peter Neuner dans sa Théologie œcuménique (Cerf, 2005).

Qui interprète la Bible ?

Dans l’Église catholique, le magistère (les évêques unis au pape) est le garant de l’interprétation de l’Écriture, mais le peuple des fidèles n’en est pas exclu. Le sensus fidei , « le sens de la foi (des fidèles) » participe à l’élaboration de ce qui fait autorité dans l’Église. La Tradition n’est pas pour les catholiques un canal qui existerait à côté de l’Écriture et qui communiquerait une révélation indépendante d’elle. « La sainte Tradition et la sainte Écriture sont étroitement liées et communiquent entre elles. Car toutes deux, jaillissant de la même source divine, confluent pour ainsi dire pour former un tout et tendent à la même fin » , déclare le concile Vatican II, dans la constitution Dei Verbum sur « la révélation divine » .
Historiquement, le protestantisme a toujours été en rupture par rapport à l’idée d’un magistère, dont les Réformateurs soulignaient les abus. Ces derniers n’étaient certes pas hostiles à la notion de tradition (reconnaissance des conciles de l’Église ancienne), mais considéraient que le magistère était source d’ «ajouts» qui éloignaient de l’Écriture. De l’affirmation de Luther selon lequel l’Écriture, claire et transparente, s’interprète d’elle-même, il demeure dans le protestantisme la conviction que rien ne remplace la confrontation personnelle du croyant à l’Écriture.
Les orthodoxes, quant à eux, aiment parler de l’ « Écriture dans la Tradition » pour éviter la rupture des deux termes et privilégier une lecture du «mystère chrétien» enracinée dans la tradition.

Existe-t-il des particularités confessionnelles dans les manières de lire la Bible ?

Chez les catholiques, Vatican II a remis l’Écriture au cœur de la vie croyante, personnelle et ecclésiale. « L’ignorance des Écritures, c’est l’ignorance du Christ» , a insisté le Concile, reprenant les mots de saint Jérôme. Il a exhorté «tous les fidèles du Christ » à acquérir «par la lecture fréquente des divines Écritures, la science éminente de Jésus-Christ» . Dans la liturgie catholique, la lecture de la Parole de Dieu a une véritable dimension sacramentelle : le Christ « est là, présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les saintes Écritures » (Vatican II, La sainte liturgie , § 7).
Pour les protestants, les accents sont mis ailleurs. «Le protestant n’emploiera pas l’expression “lire la Parole de Dieu”, il parlera plutôt d’“ouvrir la Bible pour tenter d’y entendre la Parole de Dieu” » , précise Patrice Rolin, pasteur de l’Église réformée de France et animateur biblique. Côté protestant, la Bible est conçue comme un « partenaire de discussion» . «La Bible se lit à plusieurs, en dialogue avec le texte et avec d’autres , poursuit Patrice Rolin. Avec l’idée que, dans sa diversité, la Bible contient elle-même ce dialogue et y invite. Nos Pères dans la foi ont eu la sagesse de canoniser la diversité ! » Si l’exégèse historico-critique, née en milieu protestant, a fortement imprégné l’approche biblique des milieux luthéro­réformés, la lecture du texte ne se veut pas seulement savante, mais existentielle. «Notre lecture de la Bible ne vise pas d’abord à y trouver des vérités spirituelles, mais à y essayer nos questions existentielles, à mieux nous comprendre » , explique Patrice Rolin, qui rappelle que chez Calvin, « la connaissance de Dieu et la connaissance de soi sont choses conjointes » .
Côté orthodoxe, la lecture de la Bible est marquée par la liturgie. « Le fidèle est absorbé, imprégné d’un bain liturgique fait de paroles, d’hymnes, de prières chantées qui constituent le fonds théologique de l’Église depuis deux mille ans» , explique le P. Michel Evdokimov, prêtre orthodoxe. Le lien entre Écriture et liturgie explique une certaine méfiance vis-à-vis de l’exégèse moderne, « considérée avec respect, mais sans plus» par les « croyants ordinaires » , reconnaît le P. Evdokimov. L’approche orthodoxe de l’Écriture est fortement marquée par les méditations des Pères de l’Église à son sujet. Au fil des siècles, les écrits patristiques ont parfois été valorisés aux dépens du texte biblique. Toutefois, en «bonne» théologie orientale, l’Écriture demeure première. «Lire l’Écriture, c’est atteindre le cœur de la foi » , souligne encore le P. Evdokimov, une lecture souvent qualifiée de «divino-humaine », qui se fait en Église et sous la conduite de l’Esprit Saint.

Quels sont les enjeux d’une lecture de la Bible aujourd’hui ?

Face à un déclin important de la lecture dans les sociétés occidentales, l’enjeu pour toutes les Églises est d’encourager les croyants à lire, étudier et méditer la Bible. Face aux lectures fondamentalistes, le défi est aussi d’initier les chrétiens à un art de la lecture et de l’interprétation qui ne fige pas le texte, mais le laisse parler. Face à l’individualisme, les Églises insistent sur l’importance d’une lecture communautaire,
« à plusieurs »
, qui « ne passe pas sur les rugosités du texte, mais s’y confronte» , souligne Patrice Rolin, pour éviter «la tendance commune à privilégier certains textes et à avoir un canon dans le canon » (1). La question, pour Elisabeth Parmentier, théologienne luthérienne, est donc la suivante :
« Comment donner à nos contemporains – qui ne sont pas seulement en Église – des critères d’une lecture qui ne soit pas individualiste, tout en leur laissant la liberté de la découverte, en fonction de leur expérience personnelle?»

                                                                                                                                                                                              ÉLODIE MAUROT

(1) Le « canon » désigne l’ensemble des textes bibliques définis par l’Église comme inspirés et faisant autorité.
 

Les traductions de la Bible les plus utilisées


> La Bible de Jérusalem (éditions du Cerf), traduction de l’École biblique de Jérusalem, est la plus diffusée des bibles d’étude. Publiée en 1956, elle a été révisée en 1973 et en 1998. Elle offre une traduction précise des 73 livres bibliques (canon catholique).
> La Nouvelle Bible Segond (Alliance biblique universelle), révisée en 2002, actualise le texte traduit à la fin du XIX e siècle par le protestant Louis Segond (1810-1885). Très diffusée dans les Églises de la Réforme, elle comprend 66 livres. Les livres de l’Ancien Testament écrits en grec, dits « apocryphes» ou «deutérocanoniques» (Livres de Judith, de Tobie, les deux Livres des Macchabées, la Sagesse, et l’Ecclésiastique) ne font pas partie du canon biblique protestant, des extraits en sont cités dans les notes.
> La Traduction œcuménique de la Bible (ou TOB, éditée par le Cerf et l’Alliance biblique universelle) a été menée conjointement par des protestants et des catholiques à la fin des années 1960. Des orthodoxes, sans y collaborer, ont approuvé le projet. Parue en 1972, révisée en 1988, elle comprend les 73 livres bibliques. La TOB est une référence scientifique.
> La Bible Osty (Seuil), parue en 1973, est l’œuvre de deux catholiques : le chanoine Émile Osty et le P. Joseph Trinquet. Caractérisée par un style élégant, mais comprenant des notes datées, elle contient les 73 livres du canon catholique.
> La Bible, nouvelle traduction (Bayard 2001) a été conçue avec le souci de permettre une lecture contemporaine, avec une attention à la langue et à la musique du texte original. Elle a été réalisée par des « binômes » associant, pour la traduction de chaque livre, un exégète et un écrivain.
> La Bible « Parole de Vie » (Alliance biblique universelle, 2000). Fruit d’une collaboration œcuménique, elle s’adresse à des lecteurs francophones ayant des difficultés à maîtriser le français. Il existe une édition protestante, une édition catholique et une édition dite « interconfessionnelle ».
> La Bible expliquée (Alliance biblique universelle, 2004) est l’édition d’une ancienne traduction (la Bible en français courant , parue en 1997). Les notes privilégient une initiation au texte biblique.

D’autres traductions existent: Bible de la Pléiade, Bible de Chouraqui, la Bible de Maredsous, la Traduction liturgique de la Bible, la Bible du Semeur…

           Site du journal de la Croix                                                                      la Croix du 11/12.10.2008          

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