Les persécutions antireligieuses.


 L’intolérance religieuse fait chaque année des dizaines de milliers de victimes, toutes confessions confondues, à travers le monde et principalement en Asie. Parmi elles, les chrétiens sont les plus nombreux

 
De quand datent les persécutions antireligieuses ?
 Dans la Rome antique, les magistrats dits «persécuteurs» étaient chargés de poursuivre l’accusé qui ne s’était pas présenté pour l’exécution de sa peine. Le terme juridique de «persécution» sera employé pour les premiers chrétiens qui, jusqu’à l’édit de Constantin (313), encouraient la mort dans l’Empire romain. Bien avant déjà, les juifs eurent à subir des persécutions de la part de leurs voisins païens. À partir du VIIe siècle, avec l’implantation puis l’essor de l’islam sur les terres christianisées d’Afrique du Nord et d’Asie mineure, des persécutions contre juifs et chrétiens apparaissent, même si le statut de dhimmi (hôte protégé, avec paiement d’impôts spéciaux) leur garantit protection et liberté de culte. L’Europe connaît aussi des périodes de persécutions religieuses, notamment avec les tribunaux de l’Inquisition (mis en place en Espagne en 1478 et au Portugal en 1531), puis avec les guerres de religion du XVIe siècle. Parallèlement, l’Église développe avec saint Thomas d’Aquin une réflexion sur le respect de la conscience et la liberté religieuse. Les Lumières mettront en avant ces notions, qui seront reconnues comme fondamentales dans la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. » L’Église catholique a entériné la liberté religieuse à Vatican II dans la déclaration Dignitatis humanæ  (1965).

 
Quels en sont les principaux types ?
 On distingue les persécutions de type politico-idéologique et celles de type religieux. Dans le premier cas, il s’agit essentiellement de persécutions d’État menées contre toutes religions au nom de l’athéisme communiste, comme à Cuba ou en Corée du Nord; elles peuvent aussi être liées à des motifs ethniques, comme au Nigeria ou au Soudan. Quant aux persécutions menées au nom d’une religion dominante, elles sont dues aujourd’hui surtout à l’islam et à l’hindouisme. Dans les faits, il est souvent difficile de distinguer la responsabilité propre des États (comme en Arabie saoudite, en Chine, en Iran, au Vietnam ou au Yémen) de celle de groupes extrémistes, comme le RSS (corps de volontaires hindous liés au parti nationaliste BJP) en Inde ou le Jamaat-e-Islami (fondamentaliste sunnite) au Pakistan.

 
Qui est aujourd’hui persécuté pour sa foi ?
  Mise à part l’Inde, les violences concernent surtout les pays musulmans du Proche-Orient, du golfe Persique et de l’Asie centrale. Dans ces pays régis par la charia (loi islamique) et où la Constitution reconnaît l’islam comme religion d’État, les personnes d’une autre religion – notamment juifs et chrétiens– sont considérées comme citoyens de seconde zone: les emplois publics (justice, armée, université…) ainsi que les activités cultuelles, confondues avec du prosélytisme, leur sont interdits ou sévèrement contrôlés ; s’y convertir de l’islam au christianisme fait encourir de graves risques, pouvant aller jusqu’à la mort. C’est le cas en Algérie où, depuis les mesures prises en février 2006 pour restreindre la liberté des cultes non musulmans, «300 chrétiens, toutes confessions confondues, ont été emprisonnés», estime le cinéaste et écrivain Raphaël Delpard (1). Le nombre non négligeable de chrétiens devenant musulmans pour se marier (le Coran interdit à une musulmane d’épouser un dhimmi) ou pour échapper aux violences, comme c’est souvent le cas pour les coptes d’Égypte, pose d’autres problèmes douloureux.

  Les chrétiens sont-ils davantage victimes ?

  Il est indéniable que les chrétiens payent aujourd’hui le prix fort des persécutions antireligieuses, mais les raisons de ces persécutions varient. Considéré comme la religion de l’Occident – et particulièrement, depuis 2003, comme religion des Américains –, le christianisme est visé par des islamistes qui cherchent à se venger des Occidentaux. On a ainsi constaté une recrudescence de violences antichrétiennes en pays musulmans, notamment contre les prêtres, les religieuses et les laïcs engagés, en 2000-2001 (seconde Intifada et répression israélienne en Palestine), en 2003 après l’invasion de l’Irak et en 2006 (crise des caricatures de Mohammed, puis controverse de Ratisbonne).
  Les raisons sont aussi à chercher dans le côté subversif de l’Évangile :
 « L’Église dérange,
résume Marc Fromager, directeur d’Aide à l’Église en détresse (AED)-France (2). Son anthropologie, basée sur la dignité inaliénable de toute personne, diffère radicalement de certaines cultures. »  En Orissa (Inde), les violences antichrétiennes de Noël 2007 puis de septembre dernier, fomentées par le RSS, sont motivées par l’amertume de castes supérieures constatant que les dalits (intouchables) et les tribals  (populations indiennes aborigènes) qui deviennent chrétiens accèdent à l’éducation et sortent ainsi progressivement de la misère et de la soumission.
                                                                                                               
   CLAIRE LESEGRETAIN
  (1) Il vient de publier La Persécution des chrétiens aujourd’hui dans le monde  (Michel Lafon, 286 p., 20 €).
  (2) AED, 29 rue du Louvre, 78750 Mareil-Marly. RENS.: 01.39.17.30.10 ou .
 
Les principaux points chauds

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L’Asie est le continent le plus touché par les persécutions antireligieuses.
 – Chine :
le gouvernement mène la guerre à la fois contre la résistance bouddhiste tibétaine, contre les autonomistes musulmans du Xinjiang et contre les « Églises domestiques » clandestines – protestantes dans le Henan, catholiques dans le Hebei –, avec destruction des lieux de réunion, arrestations de prêtres et de pasteurs… Elle combat aussi la secte Fa Lun Gong, sur fond de lutte contre les «cultes maléfiques» (qui font l’objet d’une loi répressive depuis octobre 1999).
 – Corée du Nord :
on estime à un million le nombre de chrétiens détenus dans des prisons ou des camps.
 – Irak :
depuis 2003, des milliers de chrétiens (principalement des catholiques de rite chaldéen) ont été tués ou kidnappés. On estime à 250 000 le nombre de chrétiens qui ont quitté l’Irak en cinq ans.
 – Iran :
la religion officielle est l’islam chiite. Les chrétiens (principalement de rite arménien ou chaldéen), les juifs, les zoroastriens et les musulmans sunnites bénéficient d’une reconnaissance théorique, mais leurs activités sont surveillées (aucune traduction de la Bible n’est tolérée). Quant aux bahaïs (dissidents du chiisme), ils sont violemment persécutés.
 – Inde :
depuis l’arrivée au pouvoir du BJP (parti nationaliste hindou) en 1998, cet État laïque connaît des
 persécutions contre les musulmans et les chrétiens, perçus comme menace pour l’identité du pays.
 – Indonésie :
les chrétiens de l’archipel des Moluques sont régulièrement attaqués par des commandos islamistes.
 – Vietnam:
les religions non enregistrées – Église bouddhiste unifiée, protestants évangéliques – sont illégales et persécutées. La répression politique s’intensifie contre des minorités ethniques gagnées au protestantisme, comme les Bahnars des hauts plateaux ou les H’Mong, à la frontière du Laos et de la Chine.
 
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En Afrique, plusieurs pays sont concernés, principalement le Nigeria : malgré la Constitution (1999) qui garantit une totale liberté de croyance et interdit toute religion officielle, les affrontements confessionnels se multiplient entre Haoussas musulmans (au nord), Yoroubas chrétiens ou musulmans (à l’ouest) et Ibos chrétiens (au sud). La charia gagne du terrain dans les États du Nord, ce qui entraîne de graves émeutes interreligieuses (1 500 morts chrétiens à Kaduna en 2006) et une totale insécurité pour les populations chrétiennes attirées par la manne pétrolière.

 À lire : La Liberté religieuse dans le monde, rapport 2008 publié par Aide à l’Église en détresse, 528 p., 20,29 €.
 
    Site du journal de la Croix                       à                            la Croix du 27/28.12.2008