Qui sont-ils ?
Le mot grec « prophète » renvoie à l’hébreu nabi , qui signifie
appeler, proclamer, annoncer. Ce verbe est entendu à la fois à l’actif
et au passif : le prophète est celui qui, appelé par Dieu, parle et
appelle de la part de Dieu. Lors de l’élaboration de la Bible hébraïque
en grec, les juifs d’Égypte traduisirent nabi par prophètes
, le même préfixe « pro- » évoquant le fait de parler « avant »
(prévoir), « devant » (la communauté) et « à la place de » (Dieu).
Les nombreux prophètes de la Bible vivent tous une intimité avec Dieu.
Cette relation particulière les autorise à dévoiler à d’autres les
exigences de la relation croyante, en termes de justice notamment. Le
prophète est celui qui révèle « ce qui est caché », explique le
bibliste Paul Beauchamp : « La mort seule est univoque, la vie ne
l’est pas et le bien n’est présent que sous des voiles. Le prophète est
là pour lire au travers: c’est ainsi, plus que par l’acte de prévoir,
qu’il révèle. Il reconnaît ce qui est caché. C’est à lui qu’il faut
attribuer l’ironie dans le sens premier où celle-ci consiste à
questionner l’apparence, à la retourner » (1).
Existe-t-il un seul type de prophète ?
Les prophètes de l’Ancien Testament ont des profils très variés.
Certains sont des prophètes de cour (Isaïe) et d’autres des marginaux
(Michée), il y a des hommes et des femmes (Deborah, dont le cantique est
l’un des textes les plus anciens de la Bible), des puissants (Natan,
Sophonie) et des hommes issus de couches populaires (Amos), de jeunes
prophètes (Samuel) et de plus âgés, des laïcs et des prêtres (Ézékiel,
Zacharie). Ils sont généralement mariés, mais Jérémie était célibataire
et Ézékiel veuf. Certains prophétisent de manière permanente, d’autres
de façon occasionnelle. Il n’existe pas non plus de récit uniforme de
vocation : les uns se présentent d’eux-mêmes à Dieu (Isaïe), d’autres
obéissent à un ordre divin (Amos, Osée) ; certains dialoguent avant
d’accepter la mission confiée (Jérémie), tâtonnent (Samuel) voire
refusent, avant d’accéder à la volonté de Dieu (Jonas).
Qu’est-ce qui leur est commun ?
Les prophètes sont tous « hommes de la parole », souligne
l’exégète Jean-Pierre Prévost (2), et cela caractérise leur mission :
ils ont pris la parole, pour se faire l’écho de la Parole d’un Autre.
Ils apparaissent souvent comme passionnés de Dieu, au double de sens de
la passion – amour et souffrance.
« Dès que je trouvais tes paroles, je les dévorais. Ta parole m’a
réjoui, m’a rendu profondément heureux », écrit Jérémie (15, 16).
Mais cette parole est aussi source de tourments. À cause d’elle, le
prophète est rejeté et persécuté : « Contraint par ta main, je reste
à l’écart, car tu m’as rempli d’indignation. Pourquoi ma douleur
est-elle devenue permanente, ma blessure incurable, rebelle aux soins ?
», poursuit-il.
Autre caractéristique : les prophètes sont toujours des hommes du
présent, inscrit dans l’histoire. Dans les livres prophétiques, le
contexte est précisé avec détails. « Ces références chronologiques
sont absolument indispensables, souligne Jean-Pierre Prévost. La
Parole de Dieu n’est pas intemporelle et ne saurait être détachée de
l’histoire qui l’a vue naître. Il est donc important de lire la
prophétie au présent : avant même de vouloir l’appliquer à notre temps,
ou de vouloir la christianiser, il faut d’abord l’entendre dans son
contexte originel. »
Quelles sont leurs missions ?
On dit souvent que la mission prophétique est de rappeler les
exigences de la Loi. L’exégète Pierre Gibert, professeur au Centre
Sèvres (Paris), met toutefois en garde contre un risque d’anachronisme.
Le prophète ne rappelle pas le détail de la Loi (dont la rédaction est
elle-même sans doute postérieure aux écrits prophétiques), mais ses
piliers, le respect de Dieu et du prochain : « À part quelques
allusions, le plus souvent ajoutées, la Loi se réduit chez les prophètes
à deux ordres de préceptes par rapport auxquels ils sont intransigeants
: le respect de l’unicité de Dieu par l’élimination de toute forme
d’idolâtrie et de représentation matérielle, et l’attention efficace aux
faibles et aux petits, en matière de justice notamment » (3). «
Tous les prophètes, peu importe leur époque, exigent la justice
de chaque personne sans exception », confirme le bibliste canadien
Walter Vogels (4).
Critiquent-ils toujours les institutions
?
Les prophètes prennent souvent de sérieuses distances par rapport au
culte, aux rites, aux institutions religieuses de leurs temps. Ils sont
sévères aussi envers les rois et les puissants. Ce qui les caractérise,
c’est la critique de la duplicité et de l’hypocrisie des puissants. Ils
sont avant tout « des hommes contre le mensonge », selon
l’expression de Jacques Trublet.
ÉLODIE MAUROT
(1) L’Un et l’Autre Testament (Seuil).
(2) Pour lire les prophètes (Cerf).
(3) «Prophètes et visions du futur», Le Monde de la Bible ,
décembre 2000. (4) Les Prophètes (Lumen vitæ-Novalis).
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Existe-t-il encore des prophètes ?
>> Entre le II e et le I er siècle
avant notre ère, la réalité du prophétisme s’est estompée dans le
judaïsme.
Progressivement, les figures des prophètes s’effacèrent derrière celles
des sages et des rabbins juifs.
« Personne, ont estimé les sages, ne tient son autorité directement
de Dieu. Il n’existe plus personne à travers qui Dieu s’exprime
directement, souligne l’exégète Hugues Cousin. C’est ici que se
produit le clivage entre Jésus et les rabbins. Pour eux, le comportement
charismatique et prophétique de Jésus n’est rien. »
>> On retrouvera des prophètes dans
les Évangiles : Anne, Syméon, Jean le Baptiste… Jésus
est parfois désigné par ce titre, quand il ne se l’approprie pas
lui-même : « Je dois poursuivre ma route, car il ne convient pas
qu’un prophète périsse hors de Jérusalem » (Lc 13, 33).
Les Actes des Apôtres mentionnent Jude et Silas qui exhortent la
communauté (15, 32) et les quatre filles de Philippe (21, 9). Dans les
Épîtres de Paul, le prophétisme est considéré comme un don de l’Esprit,
un charisme, parmi d’autres. « Ceux que Dieu a établis dans l’Église
sont premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes, troisièmement
les docteurs » (1 Co 12, 28). Les exégètes s’interrogent sur leur
statut : existaient-ils dans toutes les communautés. Étaient-ils
permanents ou occasionnels ? Résidents ou itinérants ? Les informations
manquent, mais le prophète est décrit comme celui qui « édifie », «
exhorte », « encourage » (1 Co 14, 3)
>> Baptisé au nom du Christ, le
chrétien participe à sa fonction prophétique. Tout baptisé
est déclaré « prêtre, prophète et roi » lors
de son baptême. Dans les Actes des Apôtres, après le récit de la
Pentecôte, Pierre cite la parole de Joël : « Dans les derniers jours,
dit Dieu, je répandrai de mon Esprit sur toute chair, vos fils et vos
filles seront prophètes (…) En ces jours là, je répandrai de mon
Esprit et ils seront prophètes » (Ac 17-18). Cette universalité
n’exclut pas la possibilité que certains soient plus particulièrement
reconnus comme prophètes, au titre de leur intimité avec Dieu et de leur
engagement pour les pauvres. Des chrétiens comme Mgr Oscar Romero, Dom
Helder Camara, Mère Teresa ou l’abbé Pierre se sont souvent vus associés
à la figure du prophète.
À LIRE: L’Urgence prophétique. Dieu au défi de l’histoire ,
de Bruno Chenu, Éd. Bayard, 1997. |