Réincarnation et résurrection
Mgr Joseph Doré Comment se fait-il que tant de catholiques pratiquants disent aujourd'hui qu'ils croient à la résurrection et à la réincarnation ? Je ne sais pas si la proportion des catholiques pratiquants qui s'expriment ainsi est tellement élevée. Quoi qu'il en soit, il est en tout cas assez clair que ceux qui voient les choses de cette manière pratiquent de fait un amalgame sur lequel il convient de s'interroger soigneusement. Ils font en effet alors la preuve qu'ils ne situent et n'évaluent pas bien l'écart considérable, qu'il y a pourtant, entre les deux types d'opinions, de convictions et de positions qu'ils prétendent tenir ensemble. Selon l'hindouisme et le bouddhisme, où elle a ses racines, la réincarnation relève d'une loi cosmique. Toutes les réalités qui constituent le monde sont inéluctablement soumises à un devenir général où elles reviennent et se recomposent indéfiniment, selon des durées inimaginables et inévaluables par les hommes. A l'intérieur de cet universel cyclotron, chaque personne humaine - disons plutôt : la poussière des individus humains - est emportée comme un flot de particules insignifiantes et en transformation constante, jusqu'à ce que tout aboutisse au nirvâna. Celui-ci sera l'extinction de tout devenir et de tout désir, donc de toute attente et de toute souffrance, mais aussi de toute personnalité et de toute identité... et, à ce titre seulement, libération. Selon la foi biblique qui est à son origine, la résurrection, au contraire, est
liée à la foi en un Dieu d'amour, œuvrant pour les hommes dans le cadre d'une
histoire d'Alliance qu'il a voulue pour eux et qu'il conduit avec eux vers un
accomplissement qui sera le partage total et définitif de sa propre vie. Ici, il n'y a
donc pas "que" le monde: "avant" le monde et indépendamment de lui,
existe un Dieu vivant et aimant, par rapport à la parole, à la promesse et à l'action
duquel prend sens tout ce qui existe. Le monde et l'histoire vont quelque part, parce que
Dieu les conduit vers des "cieux nouveaux" et une "terre nouvelle".
Dans cette histoire, chaque personne compte car elle est connue par son nom et aimée de
Dieu telle qu'elle est; au-delà de la mort, elle est promise à une éternité de vie
bienheureuse avec Dieu.
Que diriez-vous à un chrétien attiré par la position réincarnationniste ? Je commencerais par lui faire remarquer que, réincarnation ou autre chose, il ne
suffit pas de s'en rapporter au désir qu'on éprouve pour décider du vrai! Cela dit, je
lui rappellerais d'abord qu'aussi bien dans l'hindouisme et le bouddhisme que dans
l'hellénisme ancien, nous l'avons vu, la croyance en la réincarnation est liée à toute
une vision du monde qui en conditionne fondamentalement la crédibilité, et qu'il faut
donc pouvoir adopter aussi, si l'on veut être cohérent.
Au bout du compte, je laisserais évidemment à mon interlocuteur la liberté de
sa décision, mais non sans lui avoir encore précisé ceci: si, quant à moi, je n'ai pas
choisi de croire à la réincarnation, ce n'est pas d'abord pour des raisons
anthropologiques, c'est-à-dire liées à une conception de l'homme, mais d'abord pour des
raisons théologiques, c'est-à-dire à cause de ma foi en Dieu. Foi au Dieu que
Jésus nous a révélé comme un Dieu bon et sauveur, qui n'attend pas de l'homme qu'il
atteigne la perfection par ses propres forces, à travers un processus à la fois long,
onéreux et aléatoire, mais qui lui offre d'accueillir - activement certes, mais bien
d'accueillir et non pas de produire - un salut et un pardon qui sont d'abord et avant tout
grâce, c'est-à-dire don, et don gratuit. |
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