Les
groupes sectaires sont schématiquement de deux types. L’un à visée
religieuse et/ou spirituelle, l’autre a visée de santé psychique et
physique. Cependant, en donner une définition juridique s’avère
difficile, la lutte contre les dérives sectaires relevant principalement
de la notion d’ordre public
Qu’est-ce qu’une secte ?
On prête au mot secte deux origines latines : les verbes sequi
(suivre) ou secare (couper). Il désigne un ensemble d’hommes et
de femmes réunis par une même doctrine en petits groupes souvent
constitués après séparation d’une Église ou religion instituée. Le Petit
Robert cite ainsi, à titre d’exemple, les sectes juives, protestantes,
hérétiques… Aujourd’hui, elles sont schématiquement de deux types :
certaines ont une visée religieuse ou spirituelle, d’autres mettent
l’accent sur la santé psychique ou physique. En France, à la fin de
1993, la Commission nationale consultative des droits de l’homme
proposait cette définition : « Groupement se présentant ou non comme
une religion, dont les pratiques constatées sont susceptibles de tomber
sous le coup de la législation protectrice des droits des personnes ou
du fonctionnement de l’État de droit. »
Pourquoi est-il difficile d’en donner une
définition juridique ?
La République, en vertu de la loi de 1905, « ne reconnaît, ne salarie
ni ne subventionne aucun culte ». De plus, selon l’article 1er de la
Constitution du 4 octobre 1958, la France, république laïque, «
assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction
d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.»
Elle ne peut donc opérer aucune distinction juridique, ni effectuer
aucune discrimination entre les cultes. Certaines sectes peuvent ainsi
demander le statut d’associations cultuelles, au même titre que les
religions établies. À charge pour l’État de vérifier qu’elles sont bien,
comme l’exige la loi de 1905, consacrées exclusivement à l’exercice d’un
culte. Mais les sectes peuvent aussi se présenter sous la forme
d’associations
« loi 1901 ».
Qui s’occupe des sectes ?
Le Parlement s’est le premier emparé du sujet, à la suite du rapport
remis au premier ministre en 1983 par le député PS Alain Vivien.
Plusieurs commissions d’enquêtes parlementaires ont été constituées,
débouchant sur d’autres rapports. Celui de 1995 reprend une liste de 173
mouvements jugés sectaires par les Renseignements généraux. Un second
rapport, daté de 1999, se donne pour objectif de faire un état des lieux
de la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes. Enfin,
un troisième rapport, relatif à l’influence des mouvements à caractère
sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et
mentale des mineurs, a été publié fin 2006.
De son côté, en 1996, le gouvernement a souhaité se doter d’un outil
interministériel sur le sujet. D’abord « Observatoire interministériel
sur les sectes », installé auprès du premier ministre Alain Juppé, il
devient « Mission interministérielle de lutte contre les sectes » en
novembre 1998, présidée par le député PS, Alain Vivien. En 2002, la Mils
se transforme en « Mission interministérielle de vigilance et de lutte
contre les dérives sectaires » (Miviludes) : elle ne s’occupe plus, dès
lors, des doctrines professées par les mouvements – laissées à la
liberté de conscience de chacun –, mais des actes délictueux et des
menaces de dérives.
Quel est le statut de la « liste » de 1995 ?
La liste des 173 mouvements jugés sectaires, reprise par le rapport
parlementaire de 1995, a été élaborée sur la base de dix critères de
dangerosité définis par les Renseignements généraux. La justice
administrative lui a dénié toute valeur juridique et rappelé qu’elle ne
pouvait fonder aucune entrave à la pratique d’un culte. En 2002, le
tribunal administratif de Poitiers a ainsi annulé une décision de la
mairie de la Rochelle au motif qu’elle s’était « fondée non sur un
motif tiré de l’ordre public, mais sur le caractère de secte attribué
aux Témoins de Jéhovah par le rapport d’enquête de l’Assemblée nationale
du 22 décembre 1995 ». Une circulaire de 2005, signée par le premier
ministre Jean-Pierre Raffarin, a tiré les conséquences de cette
jurisprudence et déclaré obsolète cette liste : « L’expérience a
montré qu’une démarche consistant, pour les pouvoirs publics, à
qualifier de “secte” tel ou tel groupement et à fonder leur action sur
cette seule qualification ne permettrait pas d’assurer efficacement
cette conciliation et de fonder solidement en droit les initiatives
prises. Aussi a-t-il été décidé, plutôt que de mettre certains
groupements à l’index, d’exercer une vigilance particulière sur toute
organisation qui paraît exercer une emprise dangereuse pour la liberté
individuelle de ses membres. »
Comment s’organise la lutte contre les dérives
sectaires ?
La circulaire récente du ministère de l’intérieur rappelle que la lutte
contre les dérives sectaires n’a pas pour but « de stigmatiser des
courants de pensée », mais de maintenir l’ordre public. « En
l’absence de définition de ce qu’est un mouvement sectaire, c’est la
notion d’ordre public qui est centrale », remarque-t-elle.
Dans ce domaine, la loi du 12 juin 2001 dite loi About-Picard (du nom du
sénateur UDF Nicolas About et
de la députée PS Catherine Picard) offre différents outils aux pouvoirs
publics : ceux-ci peuvent désormais dissoudre les sectes ayant été
condamnées au pénal, et un délit de « manipulation mentale» a été
créé, reformulé par les parlementaires en délit d’ «abus frauduleux
d’un état de sujétion psychologique ou physique » . La première
condamnation, sur la base de ce nouvel article du code pénal, a été
celle du gourou de la secte NéoPhare, Arnaud Mussy, condamné en
novembre 2004 à trois ans de prison avec sursis par le tribunal
correctionnel de Nantes.
« Concernant la protection des individus, les outils législatifs
existent, même si le problème reste de réunir les preuves, estime
Jean-Pierre Jougla, administrateur de l’Union nationale des associations
de défense de la famille et de l’individu (Unadfi). En revanche, on
ne les a pas pour contrer les interventions des sectes dans le champ
démocratique. Nous nous heurtons aux libertés d’association et
d’expression. »
Anne-Bénédicte Hoffner
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Définitions de sociologues
Comme le résume Danièle Hervieu-Léger ( La Religion en
miettes ou la Question des sectes, Calmann-Lévy 2001), la secte est
« un objet non identifié ». La définition qu’en ont donnée au
début du XXe siècle Max Weber et Ernst Troeltsch (lire ci-dessus)
a en effet été relativisée depuis, en raison notamment de l’émergence de
« nouveaux mouvements religieux » à partir des années 1970, ne rentrant
pas dans ce cadre. Dans l’ouvrage collectif Sectes et démocratie
(Seuil, 1999), Françoise Champion et Martine Cohen retiennent, parmi les
nombreuses accusations portées contre les sectes, deux éléments à «
prendre au sérieux » : une « certitude affichée ou voulant
absolument s’imposer à tous comme seule vérité, et surtout un
fonctionnement collectif qui entrave lourdement la liberté personnelle
des membres du groupe ».
L’Église catholique et les sectes
L’Église catholique est concernée à plusieurs titres. Elle a d’abord le
souci de connaître les sectes, afin de bien marquer leur différence avec
les religions établies, mais aussi pour mieux accueillir les personnes
en recherche spirituelle. C’est le but du service national Pastorale,
sectes
et
nouvelles croyances, créé en 1973 par le P. Jean Vernette qui en fut le
secrétaire jusqu’à sa mort en 2002. En 2001, ce service a publié un
document proposant aux responsables d’Églises des critères pour «
identifier les tendances sectaires et discerner entre les groupes »
: comment fonctionne le pouvoir ? Comment circule le savoir ? Comment se
gère l’avoir ? Enfin, comment sont gérées les relations, dans le groupe
et à l’extérieur ? Depuis l’an dernier, ce service, renommé Pastorale,
nouvelles croyances et dérives sectaires, est dirigé par le P. Denis
Lecompte, du diocèse de Cambrai.
L’Église a également le souci de faire face aux accusations de dérives
sectaires en son sein. De « faire le ménage », selon l’expression
de Jean Vernette. Un service Accueil-médiation pour la vie religieuse et
communautaire a été créé en 2001 par les évêques dans ce but.
L’historien italien des religions Massimo Introvigne distingue trois
types de mouvements qui déclarent se situer à l’intérieur de l’Église
catholique et sont qualifiés de « sectes » par d’autres : des groupes
schismatiques, des groupes vivant en « marginalité » au sein de l’Église
sans avoir été désavoués, et enfin des mouvances ou organisations
reconnues comme « légitimes » par la hiérarchie, mais « attaquées
comme sectes par des milieux situés à l’intérieur ou à l’extérieur de
l’Église catholique ».
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