Les sources juives du Notre Père.

 


Derrière chaque invocation du Notre Père, apparaissent

des expressions de prières juives.

En voici quelques-unes, dont on pourra mesurer la

richesse. Elles sont tirées du cahier Évangile 68, Notre

Père. Ces formules anciennes nous invitent à découvrir et à goûter un sens nouveau de ces mots trop communs.
 

Notre Père qui es aux cieux

Fais-nous revenir, notre Père, à ta Torah... Pardonne-

nous, notre Père... 5°- et 6' bénédictions) ;

Tu as eu pitié de nous, notre Père, notre Roi...

Notre Père, Père de miséricorde, le Miséricordieux,

aie pitié de nous ! (2° prière avant le Shema : "Ahavah rabbah»].

Que les prières et supplications de tout Israël soient

accueillies par leur Père qui est aux Cieux (Qaddish}.
 

Que ton Nom soit sanctifié

Tu es Saint, et ton Nom es saint, et les saints chaque jour te loueront. Béni es-tu, Seigneur, le Dieu saint ! Nous sanctifierons ton Nom dans le monde, comme on le sanctifie dans les hauteurs célestes (3" bénédiction).

Que soit magnifié et sanctifié son grand Nom dans le

monde qu'il a créé selon sa volonté (Qaddish).
 

Que ton Règne vienne

Qu'il établisse son règne de votre vivant, et de vos jours

et du vivant de toute la maison d'Israël, bientôt et dans

un temps proche (Qaddish).

 De ton Lieu, notre Roi, resplendis et règne sur nous, car nous attendons que tu règnes à Sion (3e bénédiction du shabbat).

 Rétablisse nos Juges... et règne sur nous, Toi seul Seigneur, avec amour et miséricorde... Béni es-tu, Seigneur, Roi, qui aime la justice et le droit (11° bénédiction).

 

 Que ta Volonté soit faite sur la terre comme au Ciel

Telle puisse être ta volonté, Seigneur... de guider nos pas en ta Torah et de nous attacher à tes commandements.         (Prière du matin).
 

 Notre pain quotidien, donne-le nous aujourd'hui

Tu nourris les vivants par amour, tu ressuscites les morts par grande miséricorde, tu soutiens ceux qui tombent, tu guéris les malades et délivres les captifs. Qui est comme toi, Maître des puissances ?
                                         (2° bénédiction).

 Bénis pour nous, Seigneur notre Dieu, cette année et toutes ses récoltes, pour le bien. Rassasie-nous de ta bonté.                             (9° bénédiction).

 


Et remets-nous nos dettes comme

nous avons remis à nos débiteurs

Pardonne-nous, notre Père, car nous avons péché ; fais-

nous grâce, notre Roi, car nous avons failli, car tu es celui qui fait grâce et pardonne. Béni es-tu, Seigneur, qui fais grâce et multiplie le pardon  (6° bénédiction).

Pardonne-nous nos péchés comme nous les pardonnons à tous ceux qui nous ont fait souffrir .(Liturgie du Yom Kippoui).
 

Ne nous fais pas entrer en tentation

Ne nous livre pas au pouvoir du péché, de la transgression, de la faute, de la tentation  ni de la honte. Ne laisse pas dominer en nous le penchant du mal (Prière du matin).
 

Délivre-nous du mal

Vois notre misère et mène notre combat. Délivre-nous sans tarder à cause de ton Nom, car tu es le Libérateur puissant. Béni es-tu, Seigneur, Libérateur d'Israël. (7°bénédiction).
 

Citons encore deux autres prières anciennes où Dieu est

invoqué comme Père d'Israël. Dans ces prières de la
liturgie synagogale donc communautaire et non individuelle, Dieu est nommé «Roi» et «Père» :

Notre Père ! notre Roi!

À cause de nos pères qui ont eu confiance en toi et à qui tu as enseigné les lois de la vie, aie pitié de nous et

enseigne-nous. Notre Père ! Père de miséricorde, le

Miséricordieux ! Aie pitié de nous!  (Prière Ahavah rabba, antérieure à l'époque du Christ.)

Notre Père ! notre Roi!

Nous n'avons pas d'autre Roi que toi ;

notre Père, notre Roi, à cause de toi-même, aie pitié de nous.
 (Invocation de la litanie pour le Nouvel An, 1° siècle de l'ère chrétienne.)
 

Ainsi, nous pouvons constater que tous les éléments du

Notre Père se retrouvent dans les prières juives, certes

légèrement postérieures à l'époque de Jésus. Prière juive

devenue aussi chrétienne, elle permet aux juifs comme

aux chrétiens de retrouver leurs racines communes.

Mais certains termes de cette prière ont pris un sens différent dans chacune de deux traditions. Par exemple, l'expression «l'avènement du Règne de Dieu» a perdu pour les chrétiens toute la coloration qu'elle pouvait avoir pour le peuple juif, dispersé en exil, sous la domination étrangère.

 

.

C'est cette même perspective dans laquelle se place la Traduction œcuménique de la Bible (TOB) lorsqu'elle renverse à la forme active les passifs des demandes du Notre Père.

 

Pourquoi donc prier le Père de sanctifier son Nom, etc. ? Parce que le Père a l'initiative mais n'impose rien. Par la prière, nous entrons librement dans ses manières de voir. Saint Paul nous a bien prévenus que nous «ne savons que demander pour prier comme il faut» (Romains 8, 26). Heureusement, le Christ nous a donné des mots pour porter la prière et «l'Esprit (qui) vient au secours de notre faiblesse»

 

 Les deux formes du Notre Père.

Voici les deux versions du Notre Père, d'abord la version longue de Matthieu (ch. 6), puis celle, plus brève de Luc (ch. 11). En gras apparaissent les parties communes (source : Cahier Évangile n°68).

 

 

                     

  Matthieu

  Luc

9b Notre Père

    qui (es) dans les deux,

    que soit sanctifié ton Nom,

10 que vienne ton Règne,

    que soit faite ta Volonté

    comme au ciel aussi

    sur terre.

11  Notre pain quotidien,

    donne(-le) nous aujourd'hui,

12  et remets-nous nos dettes

    comme nous aussi avons remis à nos débiteurs.

 

13  Et ne nous introduis

   pas en tentation mais

   délivre-nous du Mauvais.


2b
Père,

    que soit sanctifié ton Nom,

    que vienne ton Règne,

 

Notre pain quotidien,
  
donne(-le) nous chaque jour,

 

et remets-nous nos péchés,

    car nous-mêmes aussi

   remettons à tout (homme)

   qui nous doit.

   Et ne nous introduis

   pas en tentation.

 

 

 


 
Quelle est la version originale enseignée par le Seigneur aux Apôtres ?

 Chacun des évangélistes transmet la prière du Seigneur telle qu'elle était récitée de son temps et dans sa communauté chrétienne : celle de Matthieu, composée en majorité de Juifs convertis, et celle de Luc, issue du paganisme. La version de Luc semble plus ancienne. Elle garde la longueur primitive de la prière. Le texte de Matthieu serait plus proche de l'original quant à sa formulation de la partie commune aux deux versions. Ainsi, pour retrouver le Notre Père originel, faudrait-il retenir les demandes contenues dans le texte de Luc, mais les lire selon la formulation de Matthieu.
 

Dans quelle langue Jésus a-t-il enseigné le Notre Père ?

Certains exégètes soutiennent que Jésus a enseigné cette prière à ses disciples en hébreu, langue alors utilisée dans la prière officielle du Temple et des synagogues. D'autres affirment que, pour une prière privée, Jésus a pu employer la langue usuelle, l'araméen. Cette seconde hypothèse semble la mieux fondée.
 

Quelles sont les intentions des évangélistes ?

Le Notre Père apparaît dans des contextes différents chez Matthieu et chez Luc. Matthieu l'insère dans le Sermon sur la Montagne, ce grand discours qui est souvent appelé la charte de la vie du chrétien. Matthieu

veut montrer l'importance de la prière dans la vie morale. Luc expose la pédagogie de la prière entreprise par Jésus : «Seigneur, apprends-nous à prier», demandent les disciples. Pour Luc, cette prière prend une importance particulière car, en Jésus, et en lui seul, Dieu se révèle Père. Le Notre Père exprime donc l'attente ardente de l'intervention décisive de Dieu.

 

     Le pain, le pardon, la tentation

 Les trois premières demandes ont ouvert l'horizon sur lequel les dernières se profilent. Celles-ci énoncent ce dont nous avons besoin pour que, en nous et par nous, le Nom soit sanctifié, etc.

 Les deux premières phrases recoupent ce que Jésus dit, par ailleurs, sur le Père. Les discales peuvent lui faire confiance, bien plus qu'à n'importe quel père humain (Luc 11, 9-13). C'est pourquoi, il est inutile de chercher à s'assurer un lendemain qui, de toute manière, nous échappe (Luc 12, 16-32). «À chaque jour suffit sa peine» (Matthieu 6, 34). Par ailleurs, c'est une constante de l'Évangile d'affirmer que le refus du pardon à son frère est l'unique obstacle infranchissable au pardon de Dieu.

 Inversement, depuis toujours, la finale du Notre Père trouble certains chrétiens. Aujourd'hui, ils s'en prennent à la traduction liturgique : «Ne nous soumets pas à la tentation.» Le texte ancien évitait la difficulté : «Ne nous laissez pas succomber à la tentation.» Le sens était, sans doute, exact ou, au moins, possible. Mais la traduction était fort éloignée des mots grecs transmis, à l'identique, par Matthieu et par Luc.

 Le latin liturgique était beaucoup plus près de l'original : et ne nos inducas in tentationem, «ne nous

 induis pas en tentation». Mais comment Dieu pourrait-il nous induire en tentation ? D'ailleurs, saint Jacques déclare formellement que Dieu ne saurait être l'auteur de la tentation (1, 13).

Le scandale est d'autant plus fort que Dieu, tel que nous le prions,est «notre Père». Si, comme dit Jésus, même un mauvais père terrestre donne de bonnes choses à ses enfants, comment le Père céleste pourrait-il nous provoquer au mal ? Saint Matthieu, par la dernière demande du Notre Père, interdit d'ailleurs toute tentation (car c'en est une) de penser ainsi.

Il  faut  interpréter  la phrase difficile à la lumière de l'Evangile. Jésus a commandé à ses disciples de «prier pour ne pas entrer en tentation» (Luc 22/40) Pourtant, lui-même a été tenté par le diable et saint Matthieu n'hésite pas à dire que c'est l'Esprit Saint qui l'a conduit au désert dans ce but.
Peut-on dire que Jésus n'a pas été «soumis à la tentation» ? Oui, car il ne se laisse pas soumettre, il n'entre pas dans la logique du tentateur. Face au tentateur, chacune de ses réponses est définiti
ve. La tentation n'a pas de prise sur lui. Il est comme les trois jeunes hommes dans la fournaise, sur qui le feu n'a pas eu de pouvoir (Daniel 3, 27). Dans le Notre Père, nous demandons qu'il en soit ainsi pour nous.

    Mais délivre nous du mal

La dernière demande du Notre Père, selon saint Matthieu, répond aux trois premières : elle s'applique à l'aujourd'hui mais vise à la perspective finale, la victoire manifeste de Dieu sur la mort telle que l'évoque l'Apocalypse (21,4).
          Peut-être la prière de Jésus pour ses disciples, le soir de la grande épreuve - Gethsémani -  éclaire-t-elle la dernière demande du Notre P
ère :

    Père saint,
    garde en ton Nom

    (ceux que tu m'as donn
    és)....
    je ne te prie pas de les retirer du monde,
    mais de les garder du Mauvais.
    Ils ne sont pas du monde,
    comme moi je ne suis pas du monde.
    Consacre-les
    dans la vérité.
    Ta parole est v
    érité.

                    (Jean 17, 11. 15-17)

La prière juive se conclut normalement par une formule qui proclame la gloire de Dieu. Saint Raul fait de même dans ses épîtres : Romains 11, 36 et 16, 25-27. Il n'est donc pas étonnant que certains manuscrits évangéliques concluent le Notre Père par une glorification de Dieu qui ressemble un peu à celle que le prêtre chante à la fin de la prière eucharistique.
   Car c'est à toi qu'appartiennent
le Règne, la Puissance et la Gloire pour les siècles des siècles !

Si le Règne appartient à Dieu,c'est bien lui qui peut le faire advenir. Contentons-nous d'être les enfants du Royaume et, humblement,  ses serviteurs (Luc 12,32 et 17, 10).

                                                             FÊTES & SAISONS 527 - AOÛT/SEPTEMBRE 1998