Charles
Rémy, un vrai coucou.
Steinbach
aime la musique, à l'image du toujours
jeune senior Charles Rémy. Après 60 années
de saxo ténor au sein de l'harmonie, il a
posé son instrument, mais n'hésite pas à
pousser la chansonnette à l’occasion.
Lors de la dernière fête de la musique il
en a ému plus d'un(e) avec «Tous les
hommes sont des amours», choisi parce que
la Fête des Pères passait par là. Portrait
d'un aîné toujours de bonne
humeur.
Charles est né à Steinbach le 24 avril 1922,
dans la baraque qu'occupaient ses parents
dans le haut du village, jusqu'à ce que
les dégâts de la Grande Guerre soient
cicatrisés. Son père travaillait aux Mines
de Potasse. Charles fréquente
l'école communale de 6 à 14 ans: «Je n'ai
aucun diplôme, dit-il simplement, je sais
juste lire et écrire!» Il part travailler
comme ouvrier, d'abord chez Baudry, puis
chez Rollin. Début 1941, alors
que ça commence à sentir le roussi pour ce
jeune homme de 18 ans, il quitte Steinbach
avec quelques copains pour rejoindre le
sud de la France, via la Suisse.
Commence alors une vraie
épopée.
Réfractaire
Le
petit groupe est pris à la frontière, mais
bénéficie d'un «sauf conduit» valant
laissez-passer établi par le Consulat de
France à Bâle. Il est hébergé durant
quelques mois, aux frais de la princesse,
dans un hôtel à Genève.
Après avoir rejoint Vichy, Charles s’engage
volontairement dans l’armée française pour
trois ans. Il est affecté au 15ème
Régiment d'Artillerie de Montpellier.
Mais, l'année suivante, il
bénéficie d'un congé
d'armistice et est renvoyé dans ses
foyers tout en continuant à toucher
la solde ! «Je ne pouvais évidemment pas
rentrer à Steinbach puisque les
Allemands y étaient ». Charles ira
donc se réfugier en Aveyron, où il
travaillera chez un agriculteur. On
lui procurera de vrais faux papiers
d'identité et même un livret
militaire, établis au nom de Charles
Baures, né à Troyes. Pourtant, en février
1943, il est désigné par l'occupant
pour aller travailler en Allemagne. Un
fonctionnaire de la préfecture de
Rodes, alsacien d'origine, se
charge d'arranger son affaire,
et Charles est
officiellement dispensé de service
obligatoire! Il restera
donc en Aveyron jusqu'en mai
1945 et l'armée française le
rappellera alors à Béziers. Il
partira, de là faire une courte
période d'occupation en Allemagne jusqu'en
novembre de la même année.
Démobilisé, il obtient sa carte de
«patriote réfractaire à l’annexion de
fait». Charles a évidemment conservé
tous les documents qui attestent
d'une histoire peu banale, doublée d'une
sacrée dose de chance!
De retour à Steinbach, il reprend
son travail chez Rollin
au début de l'année 1946. Il y restera
jusqu'à sa retraite prise à 60 ans, en
1982. En 1947, il épouse Marthe, une
ancienne copine de classe de l'école
primaire, que rien ne destinait à devenir
sa femme: « Je n’étais pas un
coureur de filles», confie Charles en
souriant. Et Marthe se souvient du jeune
garçon en des termes peu flatteurs: «Quand
je le voyais, je disais simplement:
« was esch denn dàss fer a mumel!» («C'est
quoi cet ours?»). Les jeunes
gens vont pourtant apprendre à mieux se
connaître au théâtre du village, avant de
décider d'unir leur vie. Ils ont eu 2
garçons et sont maintenant les heureux
arrières grands-parents de 4 fillettes
Juliette, Luane, Sarah et Margot.
Saxo
Charles Rémy occupe l’essentiel de sa
retraite dans son jardin. Il plante chaque
saison quelque 40 pieds de tomates, mais
n'a plus de lapins. «Il n'y a pas si
longtemps, j'en avais jusqu'à 60,
raconte-t-il. Il y en avait toujours un à
mariner dans le vin et le soir je faisais
seulement rôtir un morceau». En hiver,
c'est le grand calme. Alors, en soirée, le
scrabble les occupe tous deux et Marthe
est en général la gagnante. Quant à la
musique, elle a commencé en 1936, à
l'Harmonie du Silberthal
évidemment. «J'ai pris le
saxo ténor pour remplacer quelqu’un qui
était parti sur Sochaux » explique celui
qui n’a reposé le précieux instrument
qu'en 1997. Et la chansonnette a suivi. A
chaque fête, on entend Charles. Il chante
en français les mélodies qu'il
a apprises à l'école ou mieux
celles qu'il a rapportées de l'Aveyron et
que personne ne connaît ici. Sa plus belle
histoire? Lors de son mariage, la musique
de Steinbach avait joué « Printemps
charmeur» et Charles a
rechanté cette chanson lors de la
dernière fête de Noël des aînés. En
l'honneur de son ami, le
clarinettiste André Waldner
jouait déjà à son mariage et il est
toujours un musicien actif au sein de
l'Harmonie du Silberthal ! Alors, quand
Charles Rémy, l'heureux coucou de
Steinbach, chante, n'oubliez pas de
faire un vœu !
Les Dernières Nouvelles d’Alsace
16.01.2005
P.Br.
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