Steinbach : la tranchée de Belgrade n'est plus.      



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Pendant les fêtes de fin d'année, en 1914, les combats entre Français et Allemands faisaient rage au-dessus de Steinbach pour la prise de Cernay. Philippe Springer livre ici une partie de ses recherches sur cet épisode de la Grande Guerre." Cet article est tiré du journal " l'Alsace " en date du 29.12.2001. La photo provient d'une collection privée.

Fin octobre 1914, le général Joffre (GQG) émet le souhait de reprendre l'offensive en Alsace. Le « détachement des Vosges », renommé ensuite « 34° Corps d'Armée » (général Putz), est créé à cet effet. Les combats commenceront le 1er décembre 1914 lorsque la 57° division d'infanterie (division mobile de la place de Belfort) (général Bernard) cherchera à gagner le maximum de terrain face à l'Armee Abteilung Gaede (AA Gaede General der Infanterie Gaede), pendant que la 66° division d'infanterie (général Guerrier) cherchera par un mouvement tournant à faire sauter le verrou que constitue la ville de Cernay pour percer dans la plaine. Le 13 décembre, le village de Steinbach et la cote 425 sont enlevés par une attaque en tenaille des 81° (colonel Goybet) et 115° brigade d'infanterie (colonel Sicre). Les éléments de la 55. Gemischte Landwehr Infanterie Brigade (General Leutnant Mathy) sont rejetés sur une ligne Cernay-Uffholtz. La division volante Fuchs contre attaque dès le lendemain et rejettera très brillamment les Français sur leurs lignes de départ. La 29. Infanterie Brigade (Oberst von Stranz) conduisait l'assaut. La 31. Infanterie Brigade servant de flanc garde à droite. La brigade Mathy durement malmenée, trouvera en la Brigade von Stranz un grand secours, avec en soutient une puissante artillerie lourde.

Une attaque en tenaille

L'attaque générale française du 25 décembre est la répétition de celle déjà exécutée. Les combats sont d'une rare férocité. Le village de Steinbach est grignoté maison par maison. La cuvette est définitivement conquise par le 152° Régiment d'Infanterie le 3 janvier 1915, le régiment y laissant 700 hommes, morts, blessés ou prisonniers. Pendant ce temps, la 115° Brigade d'Infanterie va renouveler sept fois son attaque contre la cote 425, le 213° Régiment d'Infanterie y laissant 420 hommes dont le lieutenant-colonel Frantz Chef de Corps et Gouverneur de Thann avant la nomination d'une administration militaire en la personne du capitaine Hoertel. Incapable d'un nouvel effort, la 115° Brigade d'Infanterie est relevée le 5 janvier par la 151° Brigade d'Infanterie (colonel de Susbielle) avec comme objectif une conclusion heureuse pour nos armes. En face, il n'en va pas autrement, les pertes ont été tout aussi lourdes. Rien qu'au Infanterie Regiment 161, 660 hommes ont été mis hors de combat. La 29. Infanterie Brigade est relevée par la Brigade Dallmer. La météo mauvaise jusqu'à présent, devient exécrable. L'attaque en tenaille du 7 janvier aura pour le 359° Régiment d'Infanterie, pince de droite, Sandozwiller comme objectif. Le régiment, incapable de sortir de ses tranchées, perd 25 hommes. La violence et la précision de la fusillade allemande retranchée au deuxième étage des bâtiments de la cité ouvrière de l'usine textile ont été décisives. L'attaque du 297° Régiment d'Infanterie, pince de gauche, fort de deux compagnies composées de jeunes recrues, sera brillamment conduite ; mais pris sous un tir croisé d'artillerie lourde tirant de Wattwiller et du faubourg de Belfort, le détachement sera pratiquement anéanti en atteignant la croupe. (450 hommes hors de combat). Les deux compagnies du 13° Bataillon de Chasseurs Alpins, en réserve d'armée dans la vallée, engagées pour essayer de relier les deux pinces, n'y changeront rien.

           

La boue et le gel

Les attaques, presque toutes de nuit, seront exécutées dans des conditions dantesques, les unités dans les deux camps devant abandonner la hauteur pour nettoyer leur armement, la boue liquide souvent jusqu'aux genoux, parfois jusqu'au ventre, s'incrustant partout. Les cadavres, nombreux, faute de place, serviront de parapets jusqu'au dégel, ou pourriront sans sépulture dans le no man's land l'odeur pestilentielle y étant insupportable. Plusieurs trêves tacites auront lieu, malgré les ordres, lorsque les éléments de tranchée, envahis par l'eau, obligeront les deux belligérants à se réfugier sur les parapets et les banquettes de tir, faute de mieux, les deux factions adverses, distantes de 20 à 80 mètres, attendant de pouvoir à nouveau disparaître dans leurs fossés transformés en torrents. Durant toute la guerre, la cote 425 restera un point de friction meurtrier et sera le lieu de nombreux coups de main. En octobre 1916 et février 1917, des groupes francs du 245° Régiment d'Infanterie pénètrent profondément dans le dispositif allemand en vue d'y faire des prisonniers. Un de ces groupes francs était conduit par le sous-lieutenant Albert Préjean. Celui-ci deviendra un acteur de tout premier plan du cinéma français. Représentatif du Français moyen de cette époque, il personnifiait la bonne humeur, la débrouillardise et surtout la chance qui transparaît dans chacun de ses films, cette chance qui ne l'avait pas quitté pendant toute la guerre.

Disparition des vestiges

Dans son journal, il écrit: « C'était des petites équipes de gars gonflés qui s'en allaient faire des coups de main dans les lignes ennemies. Aussi gonflé que l'on soit, les nerfs qui craquent et les cheveux qui se dressent sur la tête, ça existe croyez-moi! Je préférais risquer ma peau à chaque coup de main que de moisir dans la tranchée. Et puis, dans les corps francs, là au moins on avait l'avantage d'avoir quelques jours de perm' quand nous avions réussi. Naturellement, entre toutes ces permissions, je trouvais le temps de me faire blesser une première fois, puis une seconde. Les balles entraient dans la peau et choisissaient toujours le gras des chairs. Je devais être béni des dieux de la guerre: superstition, je ne sais pas » (Avec l'aimable autorisation de M. Nion, Militaria Magazine, Novembre 2001).

Ces dernières années, l'ensemble de la zone rouge a subi une accélération de la disparition des vestiges de la Grande Guerre. Dans le Sundgau, bon nombre d'abris ont été purement et simplement enfouis dans le sol car ils gênaient la manœuvre des engins agricoles. A Steinbach, la tranchée de première ligne française, dite tranchée de Belgrade, a disparu suite à la remise en exploitation des parcelles supérieures de la cote 425. En fait, la hauteur retrouve son aspect d'avant les combats de décembre 1914-Janvier 1915. Les vestiges qui ont disparu, ou qui vont disparaître, n'ont que peu d'intérêt. La proximité des lignes ne permettait pas d'y faire des ouvrages de grande taille. La hauteur avait principalement un vaste réseau de galeries qui ont été remblayées dans les années 20 par des équipes de chômeurs et des unités de démineurs, mais dont les archives, à qui sait chercher, ont gardé des traces. Une partie de la tranchée allemande (Guillaume Ardennes) survivra, car elle se confondait avec le chemin creux qui monte à la cote 425. Lorsque le 297° Régiment d'Infanterie quittera le secteur en mars 1915, il laissera un monument commémoratif au-dessus de la Maison Blanche, pour que l'on se souvienne de ces disparus restés entre les lignes. Ce monument et la chapelle d'Ifis, poste de commandement avancé de brigade pendant les combats, sont de parfaits lieux de recueillement pour avoir une pensée pour ces vies qui s'y sont si tragiquement éteintes.


                                                                                                                         Philippe Springer

                                         Steinbach:  27 décembre 1914: attaque du Steinbach

30 décembre : entrée dans le village

31 décembre : 1/3 du village est pris
3 Janvier 1915: prise du village
4 Janvier : contre-attaque allemande refoulée

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