STEINBACH : Décembre 1914, Janvier-Février 1915
"Après
ces combats meurtriers, le régiment commence l'apprentissage de la guerre de
tranchées, qu'il mènera comme tous, si longtemps encore. Puis le 18 décembre
au lieu du repos promis et espéré depuis longtemps le 15.2 reçoit brusquement
l'ordre de départ. Il traverse Gérardmer au milieu d'une émotion poignante.
Combien de mères en deuil pleurent déjà, en voyant défiler ses rangs éclairés
par la mitraille, en songeant à tant de beaux soldats, partis joyeux vers la
frontière, et qui reposent maintenant en terre d'Alsace, ou sous les sapins
meurtris du Spitzenberg!
L'attaque
prévue ne devrait durer que quelques heures. Au lieu de cela, ce furent quinze
terribles journées de combat sans répit en plein hiver, sous la neige, et dans
des tranchées envahies par l'eau glacée, quinze journées et quinze nuits de
corps à corps.
Dès
le début de l'attaque, l'arrêt des troupes voisines qui doivent enlever la
cote 425 et la chapelle St.Antoine gène la progression du régiment. Il faut
toute l'obstination des braves du Spitzenberg pour avancer pas à pas dans cette
vallée encaissée, hérissée d'obstacles: barricades, abattis, ronces d'acier
que les cisailles ont peine à entamer, tranchées dissimulées à ras de terre,
mitrailleuses invisibles qui fauchent les assaillants. L'artillerie qui appuie
le régiment est composée presque uniquement de 65 de montagne. Le dévouement
des artilleurs, la merveilleuse justesse de leur tir ne parviennent pas à
compenser le calibre trop faible de leurs pièces. Peu soutenu à droite et à gauche, insuffisamment
appuyé par l'artillerie, le 15.2 n'a plus qu'à compter
que sur lui-même, sur sa vaillance et son énergie coutumière. Cela lui suffit
pour ne pas désespérer. D'ailleurs il a à sa tête un homme de fer, le
Commandant Jacquemot dont l'implacable volonté égale la froide bravoure.
Enfin,
au prix de sacrifices et d'efforts inouïs, nos tranchées se rapprochent des
lisières du village et le 15.2 prend pied dans Steinbach. Alors la lutte
devient d'une sauvagerie atroce: au milieu des incendies et des bombardements
ininterrompus, sous la fusillade qui part des soupiraux, des caves, des toits,
des murs crénelés, il faut faire le siège de chaque maison.
Le 27
décembre, la 4°compagnie sous les
ordres du capitaine Laroche s'empare des décombres du château brûlé et tente
de forcer l’entrée du village dans une charge à la baïonnette. Le Lieutenant
David, blessé, se relève pour
Le 28,l'attaque reprend. Le 30,la 7°compagnie entraînée par le Capitaine Marchand force enfin l'entrée du
village, lutte corps à corps à travers les barbelés et les barricades qui hérissent
la Grand' rue et se retranche sur place au cours de la nuit. Deux héros sont
tombés là, en qui la France espérait, pour devenir plus grande et plus belle:
le sergent Boutroux, neveu du philosophe, et le caporal Baudry de l'École de
Chartres, tous deux jeunes, tous deux aimés par leurs camarades qui vénéraient
en eux la même beauté d'âme.
Le 31 décembre, le tiers du village est entre nos
mains. L'attaque se poursuit malgré la mitraille qui décime les assaillants.
Le 3 janvier, de nouveaux corps à corps nous livrent presque tout le village. A
minuit, Steinbach était à nous, grâce à un mouvement hardi de la 12°Compagnie menée avec une merveilleuse habileté par le Capitaine Toussaint,
Officier dont la bravoure et l'expérience étaient réputées au régiment.
Mais ce n'est pas seulement
contre l'Allemand que le régiment doit lutter.
Pour lui, l'ennemi le plus dur, c'est l'hiver. Et
lorsque les survivants de cette époque parlent de
l'enfer de Steinbach, ce n'est pas seulement aux
bombardements, aux fusillades, aux corps à corps à
travers les incendies qu'ils songent. Ils revoient
les tranchées à demi effondrées où ils restèrent
stoïques dans l’eau jusqu’aux genoux, au milieu
des glaçons ; ils revoient les longues nuits
d’hive
r où la neige ensevelissait
les guetteurs aux créneaux, les corvées et les
relèves à travers les fondrières des boyaux, la lutte contre le froid qui les terrassait lentement, le calvaire
de leurs camarades qui, les pieds gelés, se traînaient encore jusqu’au jour
où il fallait les emporter de la tranchée.
Nos artilleurs ont donné ironiquement les noms de " Kolossal "
et " Kultur " à deux canons de 155 qui, des hauteurs dominant Steinbach,
bombardent les tranchées allemandes
dans la plaine de Cernay.
152° R.I |