En effet
l'erreur de Grégoire le Grand fera école. À travers les siècles de
nombreux textes et de nombreuses œuvres d'art identifieront Marie de
Magdala avec la pécheresse publique qui est venue embrasser les pieds de
Jésus dans une ville où il passait. A l'origine se trouve une fausse
interprétation des textes : Les évangiles ne disent pas de Marie
Madeleine qu'elle était pécheresse, mais qu'elle a été guérie de
maladie, alors que la femme qui embrasse les pieds de Jésus est
clairement présentée comme pécheresse.
Suite à cette confusion Marie Madeleine, regardée par tous les évangiles
comme le premier témoin de la résurrection, va traverser plus de quinze
siècles en pécheresse repentante avec des cheveux longs, se frappant la.
poitrine, pleurant ses péchés, méditant devant un crâne... Si on avait
voulu gommer le rôle premier d'une femme dans l'annonce de la
résurrection on n'aurait pas fait autrement.
En 2002, le Monde de la Bible, une revue sérieuse, a publié un fascicule
'Visages de Marie Madeleine.' L'iconographie qui
reprend des peintures
et sculptures célèbres à travers les siècles est éloquente : Marie
Madeleine y est présentée 25 fois comme pécheresse repentante et
pénitente. Nous la voyons quatre fois au pied de la croix et deux fois
le matin de Pâques portant les aromates et rencontrant Jésus qui lui dit
: « Ne me touche pas !»
Jamais elle n'est représentée comme messagère de la Résurrection.
Si les évangiles sont sobres vis a vis de l'histoire de Marie Madeleine
l'imagination des générations chrétiennes va combler ce vide. Une
tradition du Moyen Âge, reprise par la Légende dorée raconte qu'au
premier siècle, Marie Madeleine a abordé près de Marseille sur la plage
désormais connue comme « aux Saintes Maries de la Mer », avec Maximin,
Lazare, Marthe et
d'autres... dont Cédonius l'aveugle-né guéri par Jésus. Marie Madeleine
aurait ensuite évangélisé Aix et se serait retirée à la Sainte Baume
pour vivre les trente dernières années de sa vie, évidemment « en
pénitente » puisque elle est devenue la pécheresse. Ce lieu de
pèlerinage accueille encore chaque année environ 450 000 pèlerins.
Le temps est venu de distinguer clairement entre
1. ce qui s'est passé au temps de Jésus et de Marie Madeleine
2. la manière dont les premiers chrétiens (dans les évangiles) ont
exprimé leur foi devant ces événements.
3. les traditions, souvent déviantes, qui se sont développées au fil des
siècles. Ceci non pas pour discréditer les œuvres d'art que cela a
produit, ni pour gommer des pèlerinages fondés au Moyen Age. Mais pour
situer ces œuvres et ces pratiques dans l'époque dans laquelle elles ont
vu le jour.
Cela permet alors de réaffirmer clairement ce que dit l'Evangile au
sujet de Marie Madeleine, à savoir que le premier messager de la
résurrection aux apôtres était une femme. C'est ce qu'exige la vérité et
la justice non seulement à l'égard de Marie Madeleine mais à l'égard de
toutes les femmes dans le monde, dans les religions et dans les églises.
4. Nous arrivons à la quatrième de notre
réflexion. Elle concerne deux textes anciens parlant de Marie Madeleine.
Deux textes publiés ou republiés récemment permettent de jeter une
lumière nouvelle sur la manière dont au 2ème siècle des communautés
chrétiennes essayaient d'intégrer Marie Madeleine dans leur réflexion de
foi. Ces écrits utilisent le
« genre littéraire » et le titre Évangile. Il s'agit de l'Évangile de
Marie (Madeleine) et de l'Évangile de Philippe. Ces Évangiles ne
figurent pas dans le canon des Écritures, c'est à dire dans la liste
officielle des livres bibliques établie au 4ème siècle. Ce sont des
évangiles « non canoniques » (appelés parfois « apocryphes »). Que
disent-ils de Marie Madeleine ?
Voici ce qu'écrit l'Évangile de Marie:
« Pierre dit à Marie Nous savons que l'Enseigneur (Jésus) t'a aimée
différemment des autres femmes... Dis-nous les paroles qu'il t'a dites
dont tu te souviens et dont nous n'avons pas connaissance »
Dans une discussion avec Marie et André, Pierre ajoute:
« Est-il possible que l'Enseigneur se soit entretenu ainsi avec une
femme, sur les secrets que nous ignorons ? Devons-nous changer nos
habitudes ; écouter cette femme ? L'a-t-il vraiment préférée à nous ?
»...
L'Evangile de Philippe parle également de Marie Madeleine,
appelée Myriam dans la traduction qui suit. Il présente trois personnes
qui marchaient toujours avec l'Enseigneur : «Marie, sa mère, la sœur de
sa mère et Myriam de Magdala qui nous est connue comme sa compagne (koïnonos)'
car Myriam est pour lui une sœur, une mère et une compagne (koïnonos)...
» Cet évangile évoque une deuxième fois Marie Madeleine « ... La
compagne (koinonos) du Fils est Marie de Magdala.
L'Enseigneur aimait Myriam plus que tous les disciples. Il l'embrassait
souvent sur la bouche. Les disciples le voyant ainsi aimer Myriam lui
dirent Pourquoi l'aimes-tu plus que nous tous ?' L'Enseigneur leur
répondit :'Pourquoi ne vous aimerais-je pas autant qu'elle ?'»
Ces textes vous surprennent peut-être. Ils existent. Inutile de les
occulter. Mais il faut les prendre pour ce qu'ils sont.
- Ils ont été écrit par des gens marqués par le gnosticisme, la
recherche de la connaissance des choses divines. Le salut viendrait par
cette connaissance.
- Ils datent du 2° siècle. Ils sont. historiques dans le sens
qu'ils nous disent comment des chrétiens au 2eme siècle essayaient
d'intégrer le souvenir de Jésus et de Marie Madeleine dans leur
démarche. Deux questions semblaient les préoccuper: d'une part quels
secrets Marie Madeleine aurait-elle pu connaître et d'autre part quels
étaient les rapports de Jésus avec Marie Madeleine ?
- Mais ces textes ne sont pas historiques pour dire ce qui s'est passé
dans les années 28 à 30 du premier siècle. Ce qu'ils écrivent ne peut
pas être transposé automatiquement tel quel un siècle auparavant. Par
exemple, ils ne nous permettent pas de conclure que Jésus de Nazareth
était marié avec Marie de Magdala.. Mais ces écrits témoignent de la
liberté de pensée et de parole qu'avaient ces chrétiens et de la place
que tenait Jésus et Marie Madeleine dans leur méditation et leur
recherche de la connaissance.
Pour conclure rappelons simplement que
1. D'après les évangiles le contenu du secret semble clair : il s'agit
du mystère de la résurrection que Marie de Magdala a annoncé la première
aux apôtres.
2. Les textes canoniques ne font allusion ni au célibat ni au mariage de
Jésus. Ils laissent la question ouverte. Mais le fait même de la poser
pourrait apporter des lumières nouvelles sur ce qu'est le mystère de
l'incarnation: Dieu qui rejoint concrètement notre Humanité.
Pour cela aussi. Marie Madeleine, Merci !
Albert Hari, bibliste Sept. 2006
Références
L'Evangile de Philippe, trad. par Jean-Yves LELOUP, Albin Michel 2003,
-86
L'Evangile de Marie (Myriam de Magdala) Albin Michel 2000 (même
collection et taille que l'Ev. de Marie)
L'Evangile de Judas, traduction intégrale et commentaire R. Kasser, M.
Meyer, GR Wurst Flammarion 15 €
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